On lui prête des intentions de présidentiable en puissance et lui-même ne l'écarte pas définitivement même si, par calcul ou diplomatie, il se contente, lorsqu'on l'interrogeait sur ses ambitions, d'un lapidaire : "La présidentielle, c'est la rencontre d'un homme avec son destin." En accusant les migrants d'être à l'origine de plusieurs fléaux dont le crime et la drogue, Ahmed Ouyahia n'a pas seulement provoqué une tempête médiatique, et dont les propos ont été qualifiés par beaucoup d'ONG de "choquants", mais écorne d'une certaine façon l'image de l'Algérie, jadis considérée comme la mecque des révolutionnaires, notamment pour les mouvements de libérations africains. "Ces étrangers en séjour irrégulier sont sources de crime, de drogue et de plusieurs autres fléaux. On ne dit pas aux autorités : jetez ces migrants à la mer ou au-delà des déserts. Mais le séjour en Algérie doit obéir à des règles. On ne laissera pas le peuple algérien souffrir de l'anarchie", a lâché, samedi, le directeur de cabinet de la présidence de la République avec l'aplomb qu'on lui connaît. "Et quand on me parle de droits de l'Homme, je dis : ‘Nous sommes souverains chez nous !'" Pourtant, quelques jours plus tôt, devant les parlementaires, le Premier ministre, Abdelmadjid Tebboune, comme pour répondre à une campagne raciste lancée par des anonymes sur les réseaux sociaux la veille de la Journée internationale des migrants le 20 juin dernier, a tenté de rassurer les milliers de Subsahariens présents sur le sol national dont la plupart sont réduits à des conditions de vie très précaires. "Il y a des parties qui veulent ternir l'image de l'Algérie et lui coller l'étiquette de pays raciste (...) Nous ne sommes pas des racistes, nous sommes des Africains, des Maghrébins et Méditerranéens", a-t-il affirmé au Parlement avant d'annoncer que "la présence de nos frères africains dans notre pays sera réglementée et le ministère de l'Intérieur procède actuellement, à travers les services de police et de gendarmerie, au recensement de tous les déplacés". Mais voilà que le chef de la diplomatie en rajoute une couche : "Des réseaux organisés sont derrière ce flux massif de migrants clandestins. Une mafia organisée dont font partie des Algériens, encadre les opérations d'émigration clandestine vers l'Algérie", a accusé, hier, Abdelkader Messahel, en marge de l'atelier international sur le "rôle de la réconciliation nationale dans la prévention et la lutte contre l'extrémisme violent et le terrorisme". "Nous suivons de très près ce phénomène et l'Algérie est devenue un pays de destination pour les migrants clandestins subsahariens. Il est de notre devoir, en tant que gouvernement et en tant qu'Algériens, de défendre la souveraineté nationale et notre sécurité, c'est notre droit", a-t-il ajouté en relevant les liens entre les réseaux de trafic d'êtres humains avec les groupes terroristes et le crime organisé. L'on pourra, cela dit, rétorquer qu'Ouyahia se donne "quelques libertés" lorsqu'il parle en tant que chef du RND, mais ses propos engagent aussi, d'une certaine façon, la présidence de la République, étant entendu qu'ils sont tous censés appliquer un...seul programme, celui de Bouteflika. Faut-il, dès lors, y voir quelques dysfonctionnements en lien avec la maladie du Président ou alors s'agit-il de guerres de positions en perspective d'échéances futures ? En tout cas, avec cette salve contre les migrants, Ahmed Ouyahia, déjà grandement handicapé par sa réputation d'"homme des sales besognes" et sa longévité dans les rouages de l'Etat, endossant l'échec des politiques menées jusque-là, risque de laisser des plumes. Déjà que son parti, malgré une grande percée lors des législatives, n'a pas bénéficié d'un bon quota de ministres, alors que son "sherpa" a été débarqué de l'Exécutif. Si l'on ajoute les attaques qui le ciblent de la part de ses "amis" d'hier, en l'occurrence le FLN et le MSP, autant dire que la tempête qu'il a provoquée risque de... l'emporter. Karim Kebir