Dans cet entretien, le ministre dresse le bilan de son secteur en relevant que l'agriculture a connu ces dernières années un developpement important. Il a, par ailleurs, appelé le privé à s'impliquer dans la mise en valeur des terres soit par le biais d'un partenariat, ou à travers l'agriculture d'entreprise. Il a également abordé les raisons de la récente flambée des prix des fruits et légumes et le dossier du foncier agricole. Liberté : Vous avez axé votre action, depuis votre arrivée au ministère, sur la dépolitisation de l'agriculture en faisant de cette activité un acte économique. Quel bilan faites-vous aujourd'hui ? Dr Saïd Barkat : Sous l'impulsion de Monsieur le président de la République, le secteur de l'agriculture s'est doté en 2000 d'un Plan national de développement agricole (PNDA) avec pour objectifs essentiels l'utilisation rationnelle des ressources naturelles et l'amélioration de la sécurité alimentaire du pays. Ce plan est également venu parachever et conforter les réformes engagées dans le secteur. La dépolitisation de l'acte agricole constitue effectivement le soubassement de notre démarche. Après quatre ans, les résultats sont là pour témoigner de l'efficience de cette politique. À titre d'exemple, je peux vous dire qu'on a doublé notre patrimoine national arboricole, créé près de 850 000 emplois, augmenté la superficie agricole, doublé les terres irriguées… C'est vous dire que l'encadrement financier mis en place privilégie les investissements productifs et structurants au niveau des exploitations agricoles, ciblant des objectifs précis. C'est ainsi que, dans un souci de préservation de nos ressources naturelles, le soutien à la céréaliculture a été modulé par zones. Dans les zones fragiles, nous avons orienté le soutien vers des systèmes de production plus adaptés. Dans le même ordre d'idées, nous avons ajusté le programme national de reboisement en privilégiant les plantations utiles et économiques et en favorisant l'adhésion des riverains de la forêt dans le cadre d'une politique participative active. Cette approche a permis à ces citoyens de se réapproprier le milieu naturel qui est le leur et assure de ce fait sa préservation. Tout ceci n'a pu se faire qu'avec l'adhésion volontaire des agriculteurs sachant que l'exploitation de toutes les terres est totalement privée. À cet égard, nous avons prôné la politique du “faire-faire” qui consiste à promouvoir le plan de développement agricole en système incitatif faisant du soutien un levier pour l'investissement agricole. Quels sont les créneaux que vous encouragez ou que vous considérez comme difficiles à soutenir ? Comme je vous l'ai déjà dit, je voudrais vous préciser que l'éligibilité au soutien de tout projet est fondée sur trois critères : la durabilité écologique, l'acceptabilité sociale et la rentabilité économique. À cet égard, nous restons prudents à l'endroit de certaines cultures ne répondant pas à ce triptyque, telles que les espèces grandes consommatrices d'eau. En plus des principales filières de production, nous encourageons toutes les activités liées à la valorisation des produits agricoles telles que la collecte, le conditionnement, la conservation, la transformation… Pour tous ces créneaux, nous encourageons les investisseurs et nous les accompagnerons comme nous le faisons déjà pour les mini-laiteries, les confiseries ou les huileries. Quel message lancez-vous aux investisseurs pour engager des projets dans l'agriculture ? Maintenant que l'acte agricole a été dépolitisé et que notre agriculture s'est débarrassée des interférences idéologiques et de l'esprit rentier, la voie est désormais ouverte aux véritables professionnels capables de relever les défis de la mondialisation. Je saisis cette occasion pour exprimer ma satisfaction quant à l'émergence d'une nouvelle race d'agriculteurs qui s'est manifestée, notamment à l'occasion du dernier renouvellement des organes des chambres d'agriculture. Je voudrais également dire que l'économie de marché est avant tout une synergie entre une activité, un produit et des consommateurs. La filière lait illustre bien cette problématique : nous produisons près de deux milliards de litres de lait qu'il faut faire parvenir aux consommateurs. Toute l'intelligence réside dans la création des conditions de prise en charge de toute la filière. Pour ce faire, l'important c'est d'abord de collecter le lait disponible auprès des éleveurs et de ne pas se focaliser uniquement sur l'unité de transformation. Nous avons incité nos jeunes universitaires à s'investir dans ce créneau. Et je vous rappelle que l'Etat accompagne et soutient l'investissement ; il s'agit de créer les conditions d'une économie de marché utile, intelligente et à visage humain. Ceci dit, c'est avant tout la rationalité qui préside à notre démarche. Le soutien à l'investissement de 2000 à 2004 est de l'ordre de 94 milliards de dinars. Ce qui représente 6 à 7% de la valeur de notre production agricole. Vous conviendrez avec moi que nous sommes loin du compte, comparé à d'autres pays à l'exemple de ceux de l'OCDE qui soutiennent leur agriculture à hauteur de 43%, l'UE avec 48%, la Suisse qui réinjecte 70% et le Canada qui a plusieurs formes de soutien. Malgré cela, l'agriculture est en train de reprendre la place qui est la sienne en tant que moteur du développement dans l'économie nationale. L'Algérie possède les potentialités nécessaires pour réussir, pour peu que l'on donne à notre jeunesse l'opportunité d'exprimer son génie, pas dans le sens populiste, mais par le biais d'un intéressement à l'économie du pays. Maintenant, avec la paix consolidée, la nature qui a repris ses droits, une jeunesse forte de dizaines de milliers d'universitaires et, avec l'aide de Dieu, une pluviométrie généreuse, toutes les conditions sont réunies pour réussir. Le pays est condamné à réussir. Il faut libérer les initiatives, toutes les initiatives, et laisser s'exprimer le génie populaire. Ceci est valable pour tous les secteurs d'activités, d'autant que nous disposons d'une relative aisance financière. Des capitaux dorment dans les banques. D'après vous, ils ne servent à rien s'ils ne sont pas utilisés, et le génie d'un peuple est de pouvoir utiliser ses ressources pour produire. Il y a des industriels qui ont de l'argent et qui veulent investir dans l'agriculture. Comment peuvent-ils le faire et quelles sont les facilités accordées dans ce cadre ? Aujourd'hui, nous avons des besoins urgents en matière de prise en charge des activités se situant en aval de l'exploitation agricole et qui recèlent plusieurs créneaux porteurs pour lesquels les investisseurs sont les bienvenus. Parmi ceux-ci, la valorisation des produits agricoles et leur exportation. Les Algériens doivent réapprendre à vendre, et pour cela il faut plusieurs maillons de la chaîne : la collecte, le conditionnement, la transformation, le transport à l'heure. Ensuite, il faut s'adosser aux firmes de distribution internationales. À nos concitoyens qui ont de l'argent et qui veulent s'investir dans l'agriculture, je leur dis qu'ils sont les bienvenus dans le cadre d'un partenariat avec les exploitations existantes, au nord du pays, ou dans le cadre de l'agriculture d'entreprise au niveau des régions sud du pays. Dans ce dernier cas, des concessions de longue durée leur seront consenties tout en bénéficiant de l'accompagnement et du soutien de l'Etat. Il faut savoir que des périmètres aménagés existent déjà dans le Sud (Ghardaïa et Adrar) et que l'agriculture saharienne recèle de véritables potentialités et opportunités en termes d'avantages comparatifs et d'accessibilité. Ceux qui veulent créer de l'emploi et de la valeur ajoutée et qui respectent la norme sociale et les équilibres écologiques fragiles de notre magnifique Sahara sont les bienvenus. Vous avez de l'argent, alors créez la vie et la richesse. La perception du ministère des Finances quant au soutien que votre département apporte à l'agriculture est-elle conciliante ? Ne mentionne-t-elle pas une contradiction dans le cadre de l'accession à l'OMC ? J'ai eu déjà à dire à diverses occasions que notre politique de soutien tient compte des règles de l'OMC. Non seulement le soutien va à l'investissement, mais les niveaux actuellement consentis sont bien en deçà de ceux admis. Cet état de fait apparaît clairement dans les négociations en cours où le volet agriculture ne constitue pas d'obstacle majeur. Nous avons remarqué ces derniers temps une hausse inexplicable des prix de plusieurs légumes et fruits. À quoi cela est-il dû, alors que le secteur enregistre les meilleurs résultats ? C'est vrai ! C'est un fait que je regrette. Cependant, il est nécessaire de préciser que les conditions climatiques défavorables ont généré des dégâts importants et ralenti le cycle de développement des cultures maraîchères protégées. D'où, malheureusement, une atteinte sévère aux revenus de nos agriculteurs et de nos concitoyens ruraux, et une disponibilité réduite actuellement pour certains de ces produits au niveau des marchés. Il est utile de rappeler également que la disponibilité de ces produits hors saison, pendant la période hivernale, est relativement récente et a été rendue possible grâce aux programmes mis en œuvre dans le cadre du PNDA. L'actuelle tendance à la hausse n'est que conjoncturelle et sera vite résorbée avec l'entrée en production prochaine des cultures sous serre en zone littorale. Une enquête sur le trafic du foncier agricole a été lancée. Peut-on en connaître les conclusions ? Comme il m'est arrivé souvent de le dire, il y a une terminologie qu'on doit revoir. Le foncier, ce sont toutes les terres agricoles de l'Algérie, et ce ne sont pas seulement celles du domaine public, qui ne représentent d'ailleurs que 30% des 8 600 000 hectares de Surface agricole utile (SAU) même si ces terres sont les meilleures. Il reste entendu que l'administration agricole veille à ce que ces terres ne soient pas détournées de leur vocation. Au sujet des transactions, il faut savoir que même si la loi 87-19 de 1987 n'interdit pas le désistement sur les quotes-parts, celui-ci est conditionné. Effectivement, la loi permet le désistement sous réserve de respect des conditions draconiennes édictées par cette dernière. Celui qui cède sa part doit, entre autres, avoir l'accord des autres bénéficiaires avec lesquels il est associé, tout comme celui qui achète la part doit être agriculteur et accepté par le collectif et qu'il n'ait pas une autre activité. Ceci dit, depuis l'Indépendance à ce jour, sous la pression démographique et l'expansion constante et naturelle de nos villes, environ 160 000 ha de terres agricoles ont été urbanisés. Les terres agricoles du domaine privé de l'Etat appartiennent et continueront d'appartenir à l'Etat. Lorsqu'il est constaté qu'une construction se fait, malheureusement et malgré les interdits, sur une terre agricole, les autorités locales sont alertées et saisies par nos services pour prendre les dispositions légales. S'agissant du trafic que vous évoquez, je préfère laisser l'enquête en cours conclure. On redoutait une invasion du criquet pour ce mois d'avril, et il semble que l'Algérie l'a échappé belle. Quels sont les résultats de la lutte antiacridienne ? Les efforts consentis pour lutter contre le criquet pèlerin ont permis de juguler les invasions enregistrées qui auraient pu avoir des effets désastreux sur notre économie. Je tiens à souligner que le président de la République a pesé de tout son poids pour la mobilisation des moyens et a suivi avec un intérêt et une attention soutenue l'évolution de la situation. Dès les premières manifestations des criquets, des dispositions particulières ont été prises pour y faire face. Les superficies traitées à ce jour s'élèvent à près de cinq millions d'hectares (2004-2005), et ce, grâce aux moyens importants mobilisés par l'Etat. Cette intervention au niveau national a été soutenue par des actions de lutte préventive que nous avons menées au niveau des pays de la région pour coordonner les interventions visant à limiter la reproduction de cet insecte ravageur et, partant, de réduire ses migrations vers notre pays. Il est à relever que l'Algérie a joué un rôle de précurseur et de fédérateur dans la lutte contre ce fléau. C'est ainsi que des aides ont été consenties aux pays du Sahel dans le cadre de la solidarité régionale ; aides qui ont porté sur l'envoi d'équipes spécialisées dans le traitement, des dons en pesticides, en équipements de traitement et autres moyens de protection. La conjugaison de ces efforts a porté ses fruits puisque l'activité acridienne au niveau de la région et de notre pays a sensiblement baissé. La vigilance est toutefois de mise, et notre dispositif de surveillance et de lutte est maintenu en état d'alerte ; dispositif qui nous permet de faire face à toute éventuelle infestation. Je tiens à rendre un hommage appuyé à notre armée, l'Armée nationale populaire, qui a toujours été présente dans les moments difficiles, comme je tiens à remercier l'encadrement impliqué dans la lutte antiacridienne à l'intérieur et à l'extérieur du pays et à saluer la mobilisation citoyenne. Merci Monsieur le ministre pour le temps que vous nous avez accordé… C'est moi qui vous remercie, et je serais toujours heureux de vous revoir. Je souhaite à vous et au peuple algérien bonne fête à l'occasion du Mawlid Ennabaoui. A. W. / S. T.