S'il y a faute avérée des professionnels de santé, la responsabilité incombe non pas au personnel de soins mais à l'administration. Au ministre de la Santé d'abord. Le secteur de la santé publique est très malade. Ce n'est un secret pour personne, chacun a pu s'en rendre compte et en subir les fâcheuses conséquences. Pour aller à son chevet, le tout nouveau ministre de la Santé veut obliger les praticiens en exercice libéral à faire des gardes dans leurs cabinets. Pour autant, il aurait fallu inscrire cette démarche dans le cadre des dispositions prévues par la loi. La convention et la rémunération en conséquence ou encore exceptionnellement la réquisition. Le médecin d'exercice libéral devant alors être intégré dans le dispositif de garde des structures de santé publique qui sont en difficulté. Une démarche qui aurait été plus logique et plus efficace, à condition bien sûr que l'objectif de cette décision soit de rendre opérante la santé publique. Les médecins libéraux s'y seront prêtés sans contestation. La médecine libérale est un choix, une liberté et il est bien entendu que le praticien privé, comme son confrère du secteur public, n'est pas exonéré de ses devoirs. Il a aussi des droits et ils sont inaliénables. L'instruction n°5 du 5 août 2017 relative au service de garde pour les praticiens médicaux installés à titre privé n'est pas dans cet état d'esprit. Elle est coercitive et semble vouloir pénaliser les médecins libéraux comme si la faillite du secteur public de la santé était de leur responsabilité. Une circulaire anachronique Cette "circulaire" est anachronique, elle est en décalage avec la réalité au moins parce qu'un service médical de garde doit avoir la vocation et les moyens que les médecins de ville n'ont pas. De plus, un service de garde a besoin de sécurité et il est une obligation de l'assurer aux praticiens, ce que les pouvoirs publics n'arrivent déjà pas à honorer dans les structures qui appartiennent à l'Etat. Cette instruction – cette décision – est inepte. Elle est une façon déguisée de tourner le dos aux vrais problèmes que rencontre le secteur public de la santé, elle est aussi une fausse solution pour y remédier. Comme si le délabrement de notre système de santé se limitait seulement à un problème de garde ! Chacun sait aujourd'hui, le citoyen lambda plus que tout autre, que notre système de soins est moribond. Non seulement la population n'y a pratiquement plus accès mais il n'offre plus les soins de qualité attendus. Les examens biologiques et radiologiques – les plus élémentaires – sont pratiqués chez le privé, à la charge exclusive du malade car non remboursés par les caisses de sécurité sociale. Des médicaments ne sont pas fournis aux malades, même ceux qui sont hospitalisés doivent les acheter en officines privées... Quant à la prise en charge des malades les plus graves, les malades du cancer notamment, les listes d'attente sont longues pour accéder aux cures de soins appropriées. L'exemple de la radiothérapie est édifiant. Pour autant la médecine est gratuite dans notre pays. Elle est encore garantie par l'ordonnance n°73-65 du 28 décembre 1973 portant institution de la médecine gratuite dans les structures publiques de la santé. La gratuité des soins est également inscrite dans le chapitre 3 – articles 20 à 22 – de la loi sanitaire n°85-05 du 16 février 1985 relative à la protection et à la promotion de la santé. Cette loi est toujours en vigueur. C'est peut-être, sans doute (?), là que se situe le nœud du problème. Notre système de soins n'a plus les moyens de sa politique, il ne peut plus assumer la gratuité des soins. Cette instruction vient dans la précipitation pour travestir cette situation. Une jeune femme et son bébé sont morts à Djelfa du fait notamment de la défaillance de ce système de soins. Il y aurait eu négligence et/ou incompétence, le mari aurait empêché sa femme de consulter un médecin de sexe masculin..., l'enquête déterminera les responsabilités, il n'en demeure pas moins que c'est tout le système de santé qui est interpellé. Il est mis en cause dans cette affaire et, s'il y a faute avérée des professionnels de santé, la responsabilité incombe non pas au personnel de soins mais à l'administration. Au ministre de la Santé d'abord.
Où se situent les responsabilités ? Des événements aussi tragiques que celui de Djelfa sont survenus par le passé dans notre pays, à l'intérieur mais aussi dans les grandes villes, dans les CHU. Rien n'a été fait pour apporter des solutions. On a laissé le couvercle au puits. La situation s'est dégradée malgré les alertes qui ont été données par des enquêtes diligentées par le ministère lui-même, et par la cour des comptes... Les choses ont pourri, aujourd'hui il est trop tard. Le point de non-retour est atteint, d'autant que la situation économique du pays est peu reluisante. "Taqachouf", le mot qui est dans la bouche de tous nos responsables, la santé est le secteur qui en est le plus touché. Tous les projets, les nouveaux CHU notamment, sont suspendus. Les pouvoirs publics ont fait dans la fuite en avant. Une fuite éperdue qui s'est cristallisée dans un nouveau projet de loi sanitaire qui ne verra sans doute pas le jour parce qu'irréaliste, il fait fi du coût véritable de la prestation de soins. Si la santé n'a pas de prix, elle a un coût. Faut-il souligner que celui-ci – le coût de la santé – n'est toujours pas indexé sur l'environnement économique national ? Les tarifs des consultations viennent, s'il en est, le rappeler. À titre d'exemple, la consultation du médecin généraliste est toujours fixée à 50 DA - tarif du début des années 80 – et elle est remboursée par la sécurité sociale sur cette base. Aujourd'hui la consultation est à 1000 DA en moyenne, un tarif qui est en harmonie – en rapport – avec le coût de la vie. Celui-ci ayant été multiplié, depuis le début des années 80, par 15. Ce prix a naturellement suivi celui du kilogramme de viande, de la banane ou encore de la cerise... Seul le coût de la prestation de soins est resté figé. La réalité économique nationale a donc rattrapé le système de santé qui a vu les dotations budgétaires de ses structures de soins de plus en plus insuffisantes. La santé publique s'est appauvrie et ne peut plus assurer aux citoyens l'accès aisé à une prise en charge de qualité. Aujourd'hui, le ministre de la Santé, aux abois, pense régler un aussi grave problème en montrant d'un doigt presque accusateur le médecin de pratique privée. Le bouc émissaire est tout trouvé. Comme si le praticien privé était le responsable de la descente aux enfers de notre système de santé. Ça ne marche pas dans nos hôpitaux et nos polycliniques, il faut faire faire des gardes aux médecins libéraux. La solution magique, un tour de passe-passe, de la prestidigitation. De l'incantation, cela fait partie des us. Point de concertation. On ne demande l'avis de personne, surtout pas de concernés, surtout pas de leurs organisations professionnelles, de leur syndicat. Les choses se font d'autorité... et dans la précipitation. À la hussarde, l'instruction n°5 est donnée et est immédiatement appliquée. On a travaillé le week-end au ministère de la Santé et la montagne a accouché d'une souris. Les médecins ont aussitôt reçu des listes de garde, avant même qu'ils ne soient informés de l'existence de cette instruction. Pour autant, les médecins libéraux sont des partenaires, ils assument pleinement leur appartenance au système national de soins. À ce titre, ils ont droit au respect en tant que praticiens mais aussi et avant tout en tant que citoyens. Mais dans notre pays, la responsabilité exonère du respect que chacun doit à chacun. Il y a dans l'esprit de nos responsables confusion entre autorité et autoritarisme, en particulier quand ils sont à court d'arguments. Sauf que les problèmes ne se règlent pas de cette façon, ils se compliquent davantage. Les gardes des médecins libéraux ne régleront pas les problèmes graves que vit notre système de soins. Les solutions sont ailleurs. Il faut bien sûr de l'imagination pour les trouver, il faut aussi la volonté politique. Il n'y a chez nos responsables ni l'un ni l'autre. Ce système de gardes, qui a existé par le passé et qui a été abandonné parce que peu opérant, est une fausse solution à un vrai problème. Comme toute fausse solution, il avortera. La galère pour nos concitoyens malades continuera. Nos responsables – quant à eux, parce qu'ils n'ont pas confiance dans notre système de soins – iront au besoin se soigner dans les hôpitaux parisiens ou genevoix... aux frais de l'Algérie. Dr M. B. *Médecin psychiatre Ancien député *Les intertitres sont de la rédaction.