Des rendez-vous qui se rallongent, des équipements en panne, des spécialistes en manque et des conditions d'accueil loin d'être à la hauteur des attentes des malades. Ce constat, déjà connu et rappelé à maintes reprises, est bien celui de la santé publique dans notre pays.Faisant face à divers manquements, les malades n'ont d'autre choix que de se diriger vers les structures privées. Mais là aussi, les anomalies sont nombreuses, à commencer par les tarifs excessifs appliqués, qui sont loin du coût réel. Avec des visites chez le médecin généraliste allant de 700 à 1000 DA et de 1500 à 5000 DA chez les spécialistes et des taux de remboursement dérisoires qui n'ont pas changé depuis 1987, le malade contribue largement au financement de la santé. L'étude Comptes nationaux de la santé de 2015 détaille en effet comme suit le financement de la santé : 44,3% part de l'Etat, suivie de celle des ménages 24,7% et finalement celle de la Sécurité sociale 21,3% et le reste par les mutuelles et centres médico-sociaux des entreprises. Résultat, malgré la gratuité des soins consacrée par la Constitution, l'Etat contribue pour moins de la moitié et les ménages pour le quart. Parallèlement, le système de sécurité sociale participe moins que les ménages. Explications : Mohamed Yousfi, président du Syndicat national des praticiens spécialistes de la santé publique (SNPSSP), estime que le fond du problème du système de santé est qu'«on ne gère pas au réel tout ce qui est acte de soins». «J'espère que ça va changer avec la loi sanitaire, surtout qu'avec tous les chamboulements du secteur depuis 30 ans, la gestion n'a pas évolué». Mais de quelle manière faudrait-il opérer justement cette mutation et passer à l'application au réel dans la tarification des prestations médicales ? Pour notre spécialiste, il y a lieu d'intervenir à deux niveaux. D'abord à l'échelle du secteur public via le système de contractualisation, et en appliquant en parallèle chez le privé la nomenclature des actes médicaux et paramédicaux. Un point que relève également Dr Lyes Merabet, président du Syndicat national des praticiens spécialiste de la santé publique (SNPSSP). Plus d'implication des caisses d'assurance sociale Pour les structures relevant du public, l'on rappelle que la contractualisation existe et remontre à 1993 sans qu'elle soit appliquée. Autrement dit, tout acte médical devrait être remboursé au prix réel par les caisses d'assurance, mais rien n'a été fait dans ce cadre. «Il faut que les caisses d'assurance cessent de verser des forfaits pour les hôpitaux en contrepartie des soins. Elles doivent payer selon les factures», plaide Dr Yousfi, avant de poursuivre : «Le décret existe pourtant depuis 93 sans être mis en application. La décision de refuser de passer au réel est politique.» Une situation qui lui fera dire que les directeurs des hôpitaux sont, aujourd'hui, beaucoup plus dans des dépenses que dans la gestion. Du côté du privé, le problème est différent mais reste lié à la Sécurité sociale. Et pourtant, un travail a été fait sur ce dossier entre 2005 et 2007 sans qu'il aboutisse à une mise en œuvre. «Il y avait un désaccord entre le ministère de la Santé et celui du Travail concernant les tarifs. Le dossier a été envoyé au gouvernement pour arbitrage, mais il est toujours aux oubliettes», expliquera notre syndicaliste, pour qui l'urgence est de libérer la nomenclature pour que les prix se rapprochent du réel. Car, notera-t-il, «actuellement, le choix est biaisé. Chaque clinique facture ce qu'elle veut sans mettre le prix réel». D'où la difficulté de contrôler. Donc, le gros du problème c'est cette mise au réel. «Tout le monde le sait. C'est la jungle. Chacun fait ce qu'il veut», regrettera-t-il. «C'est l'anarchie totale et ça le restera tant que les assurances sociales ne prennent pas le dossier en charge», soulignera un autre médecin spécialiste dans un hôpital algérois. «Il est temps que l'Etat prenne ses responsabilités à travers la loi sanitaire en libérant la nomenclature pour sortir de la spéculation et des dépassements. Le plus important est d'arriver à des tarifs raisonnables qui ne portent pas préjudice aux médecins, aux malades et à la Sécurité sociale», résumera Dr Yousfi. Et ce, d'autant que même en prenant en compte les coûts des équipements, de la main-d'œuvre, par exemple, les tarifs restent excessivement élevés. Des calculs ont été d'ailleurs faits par des spécialistes il y a quelques années et ont conclu que les actes médicaux sont facturés trois fois plus cher que les prix réels. De quoi saigner les patients déjà affectés par la maladie. Anarchie Pourquoi toute cette différence ? «Tout simplement parce que le référent réglementaire qui liste la nomenclature des actes médicaux et paramédicaux ainsi que les niveaux de la tarification remonte à l'année 1987, il est obsolète et ne reflète aucunement le coût de la prestation dispensée qu'elle soit au titre de la simple consultation, de l'exploration fonctionnelle ou des soins paramédicaux», détaillera Dr Merabet à ce sujet, rappelant que dans la nomenclature du remboursement des actes médicaux de 1987, la consultation chez le généraliste est remboursée à 50 DA et à 100 DA chez un médecin spécialiste. Entre-temps, les tarifs ont augmenté de manière exponentielle, passant par exemple de 150 DA chez le généraliste à 1000 DA actuellement. Et pourtant, les pouvoirs publics ont été sensibilisés à ce sujet. Deux commissions, l'une sur la nomenclature, sous l'autorité du ministère de la Santé, chargée de la révision de la liste des actes médicaux et paramédicaux (soins et explorations) soumis à la tarification, et la deuxième sur la tarification des actes professionnels des médecins, des pharmaciens, des chirurgiens, des dentistes et des auxiliaires médicaux pour déterminer, pour chaque acte, une tarification ainsi que les niveaux de recouvrement par l'assurance maladie des frais liés aux soins avaient été installées en 2005. «Aucune suite n'a été donnée à ce travail malheureusement, si ce n'est la mise en place d'un cadre réglementaire pour le conventionnement entre les praticiens médicaux (médecins privés et pharmaciens d'officine) en 2009 à travers le décret exécutif n° 09-116 qui fixe par exemple les tarifs des consultations à 250 DA pour la médecine générale et 400 DA pour la spécialité», poursuit le Dr Merabet, dont le syndicat estime que cette situation relève d'une démarche des pouvoirs publics engagée depuis la fin des années 1980 face aux difficultés financières de l'époque. L'enjeu étant la réduction des dépenses sociales engagées par l'Etat en réponse aux injonctions du FMI et de la Banque mondiale. L'austérité budgétaire imposée aux Etablissements publics de santé a impacté négativement la qualité des prestations et a commencé à installer dans l'esprit du citoyen algérien, puis dans la pratique médicale, le recours au secteur privé pour les besoins de l'exploration diagnostic notamment», rappellera le président du SNPSSP. Ce qui a suscité, selon lui, l'évolution de l'offre de soins dans le privé et justifié son expansion rapide «mais non organisée autour d'objectifs sanitaires clairs et en l'absence d'un cadre réglementaire capable d'assurer une régulation, voire une maîtrise des dépenses, tout en protégeant le droit du professionnel et des malades». Une situation qui a contribué, toujours de l'avis du Dr Merabet, à l'organisation d'une migration ciblée des compétences du secteur public vers le privé du fait des conditions socioprofessionnelles nettement avantageuses dans ce secteur. Privé : essor sans contrôle Ce que le ministre de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière a reconnu à maintes reprises, relevant que le privé a connu un essor considérable en Algérie depuis la promulgation de la loi 88-15 du 3 mai 1988, mais de manière peu contrôlée et ne consacrant pas forcément le principe légal, moral et éthique de la prépondérance de l'acte médical. Le résultat est là avec toutes les conséquences sur le système de santé. Aujourd'hui, près de dix ans après son lancement, le conventionnement dans le cadre du système chifa med tarde à être appliqué. Un projet qui a, faut-il le rappeler, été rejeté en bloc par les médecins cabinards, qu'ils soient généralistes ou spécialistes. A titre indicatif, conformément à ce dispositif de conventionnement du médecin traitant, englobant la mise en œuvre du système du tiers payant, utilisant le système de carte chifa ainsi que les honoraires des médecins généralistes et spécialistes conventionnés, pour les médecins généralistes conventionnés, la consultation médicale et les prestations liées au suivi et à la coordination des soins sont rémunérés à 250 DA, qui peuvent être majorés de 20 à 50% dans les situations de prescription de médicaments, dont le prix est égal ou inférieur au tarif de référence de remboursement ou de médicaments fabriqués localement. Soit des consultations généralistes à 300 et 375 DA. A cela s'ajoute un service honoraire de 250 DA par assuré, versé au médecin généraliste par l'organisme de Sécurité sociale au titre de son activité de prévention, mentionne également la CNAS. Pour les médecins spécialises, la consultation médicale et les différentes prestations sont rémunérées à 400 DA. Ces montants sont également majorés de 20 à 50% dans les situations de prescription de médicaments dont le prix est égal ou inférieur au tarif de référence de remboursement ou de médicaments fabriqués localement Ce qui porte les montants des consultations à 480 et 600 DA. A cela s'ajoute un service honoraire de 400 DA, versé au médecin spécialiste par l'organisme de Sécurité sociale au titre des protocoles de suivi et de soins qu'il propose pour les assurés sociaux souffrant de maladies chroniques. Selon le document, certains actes essentiels de diverses spécialités (autres que les consultations) ont été intégrés au système du tiers payant dans le cadre du dispositif du médecin traitant. Mais pour les médecins, les tarifs proposés sont loin d'être attractifs, le noyau du problème étant la réactualisation de la nomenclature des prix des actes médicaux vieille de 29 ans. Le dossier est à l'étude, selon Tidjani Hassan, directeur général de la Caisse nationale des assurances sociales (CNAS). C'est du moins ce qu'il a annoncé en mars dernier, mettant en exergue l'importance du schéma de conventionnement. Un schéma qui ne semble pas intéresser les médecins puisqu'ils sont aujourd'hui seulement 3000 à y avoir adhéré. Ce qui explique les fortes dépenses des ménages dans la santé avec un secteur public plus ouvert aux citoyens ayant des entrées faciles.autrement dit, un système de santé à deux vitesses Réticence au système de conventionnement Une situation qui fait dire au collectif Nabni : «La combinaison de tarifs extrêmement élevés dans le privé et de l'absence de remboursement entretient donc une situation de sélection par l'argent dans l'accès aux services médicaux du secteur privé de soins de santé.» Autrement dit, l'inégalité dans l'accès aux soins. Les concernés (médecins cabinards) expliquent par la complexité et l'aspect conflictuel des procédures de la convention, la responsabilité non assumée depuis de très nombreuses années (1987) des pouvoirs publics vis-à-vis du remboursement des actes médicaux et le maintien des systèmes de santé et de Sécurité sociale obsolètes et largement inadaptés aux réalités socioéconomiques du pays, l'inadéquation de la convention avec la réalité du niveau de vie en vigueur dans notre pays. En somme, estiment les médecins, cette convention vient ainsi s'inscrire dans un environnement inadapté et non propice à sa mise en application. Ce que nous confirmera une responsable d'un laboratoire d'analyses médicales : «Le système que comptent généraliser les pouvoirs publics aux laboratoires ne nous intéresse pas, connaissant les lenteurs administratives au niveau de la Sécurité sociale. Pour se faire payer, nous devrions attendre des mois, or nous avons des charges : des travailleurs à payer et des fournisseurs à régler.» Un autre médecin spécialiste en pédiatrie abonde dans le même sens, c'est-à-dire aucun intérêt vis-à-vis du conventionnement. Et ce, surtout que pour l'heure, pas encore de bilan rendu public sur la mise en œuvre du système dans les wilayas pilotes, où la convention est déjà en application.