Selon l'accord de séparation conclu entre les deux parties et validé par le CPE, la partie Eriad récupère tous ses actifs constituant son apport au capital de la société MMC. Le groupe Benamor — qui a gardé l'entité juridique MMC — est autorisée à délocaliser la boulangerie et à procéder au transfert des équipements et des biens acquis par la société. Sur le papier, le partenariat public-privé Eriad-Groupe Benamor paraissait miraculeux. Présenté à l'opinion comme un exemple à suivre et un trophée à capitaliser, ce mariage, qui devait sortir le complexe agroalimentaire de Corso de sa léthargie qui a duré plus de 11 ans, a tourné court. Le partenariat n'a duré que trois ans, dont une année entièrement consacrée aux opérations de démantèlement des anciennes installations et équipements dont certains étaient pourtant en état de fonctionnement et qui ont été démantelés ou vendus à l'état de ferraille par l'Eriad. Des opérations qui ont englouti des milliards. Un véritable gâchis qui a coûté cher aux contribuables. Pire, l'espoir de voir réhabilités les silos stratégiques du pays touchés par le séisme du 21 mai 2003 s'est envolé. Cette opération présentée comme un bel exemple de partenariat par l'ancien Premier ministre, Abdelmalek Sellal, et son ministre de l'Industrie, Abdeslem Bouchouareb, a viré au fiasco le plus total. Des cadres de l'Eriad parlent de scandale, d'une illusion, d'autres évoquent une "supercherie" très coûteuse à l'Etat. Les 200 travailleurs engagés par Benamor ont été remerciés. Ils considèrent qu'ils ont été roulés dans la farine. Les responsables de l'Eriad et du Groupe Benamor se rejettent la balle sur la responsabilité de ce revers. Des documents que nous nous sommes procurés lèvent, cependant, le voile sur une grande partie de ce dossier qui semble mal ficelé et mal réfléchi par le gouvernement. Gestion aléatoire du dossier À l'origine de ce partenariat se trouve l'ancien ministre de l'Agriculture, Rachid Benaïssa. Ce dernier a évoqué, lors d'une visite effectuée en octobre 2012 aux silos de Corso, le redémarrage du complexe alors que l'OAIC s'apprêtait à lancer un avis d'appel d'offres pour la réhabilitation des silos endommagés. Quatre mois plus tard, le 10 février 2013 plus exactement, une résolution du CPE (Conseil participation de l'Etat) portant le n° 04/132 a été décidée consacrant "la relance de l'activité du complexe meunier de Corso dans le cadre d'un partenariat avec un privé national". Le CPE autorise alors la création d'une société mixte entre Eriad Alger et le Groupe Benamor. Son capital a été fixé à 26 000 millions de DA, dont 60% pour le groupe Benamor et 40% pour le groupe Eriad. Cette dernière fait un apport de nature au capital social constitué par les actifs du complexe Eriad hors équipement de production pour un montant de 1040 millions de DA, selon une expertise d'évaluation des actifs faite par le bureau d'études public Cetic alors que le groupe Benamor fait un apport en numéraires au capital social pour un montant de 1560 millions de DA. L'article 4 de la résolution évoque l'inaliénabilité des actions pour une durée minimum de 10 ans, ce qui laisse entendre une possible privatisation du complexe et son achat, après 10 ans, par le groupe Benamor, comme c'est précisé dans le pacte des actionnaires daté du 5 mars 2013 où il est clairement indiqué dans l'article 6-3 du document qu'"à l'expiration des 10 ans, la partie Benamor peut lever auprès du CPE une option d'achat des actions détenues dans la société par la partie Eriad". Le document ajoute que la société créera 800 postes d'emploi à échéance de la 5e année. La résolution marque son accord pour le plan d'investissement de 8,8 milliards de DA avec modalités de financement : 30% sur fonds propres et 70% en crédit bancaire. Comme elle marque son accord pour l'octroi à des conditions préférentielles d'un crédit de 6154 millions de DA. La résolution décide que les deux parcelles de 14,8 hectares constituant l'assiette foncière du complexe seront concédées par les services des Domaines au profit de la société. Ce qui laisse supposer que le groupe Eriad Alger ne s'est jamais soucié de la régularisation de son terrain depuis le démarrage en 1978 du complexe. Un premier couac : l'assiette foncière du complexe Un oubli synonyme de mauvaise gestion qui coûtera cher à l'Eriad connaissant l'importance d'un tel document dans toute transaction et qui sera quelques mois plus tard en partie à l'origine des quiproquos entre les deux associés. Fait surprenant, le titre de propriété du terrain est paradoxalement au nom des Domaines (Etat et de la commune de Corso) et non au nom de l'Eriad. Ce n'est qu'en 2002 que l'Eriad dépose un dossier de régularisation en payant 5% seulement du montant globale de l'assiette qui s'élève à 1 071 437 103,00 DA alors que si l'assiette a été régularisée en 1978, elle n'aurait coûté que 5% de ce montant sus-cité. Et encore une fois la tirelire du Trésor public vient à la rescousse de l'Eriad pour la prise en charge de la dette du complexe. Il s'agit notamment de l'annulation des intérêts bancaires, les dettes de stocks vis-à-vis de l'OAIC qui seront, selon la résolution, annulées ainsi que l'octroi d'un crédit au profit de l'Eriad pour le règlement des différentes dettes avec la Cnac et la Cnas pour un montant total de 205,4 millions de DA. Un mois plus tard, soit le 28 mars 2013, une résolution a été prise par le conseil d'administration de l'Eriad pour le démantèlement et le déplacement des anciennes installations et équipements hors site. Parmi les équipements qui ne font pas partie du partenariat et qui feront le frais de cette opération considérée par de nombreux cadres de l'Eriad coûteuse et désastreuse figure les équipements du Moulin datant de 1998 et qui pouvaient toujours servir mais qui seront eux aussi démantelés et déplacés hors site. Selon des cadres de l'Eriad, ce matériel, qui était dans un état opérationnel, aurait été déplacé dans une autre wilaya mais a connu de nombreuses dégradations et ne pourra plus être remis en marche. Les autres équipements, plus anciens, auraient été vendus dans un état de ferraille aux enchères publiques pour des poussières. Une enquête aurait même été ouverte par la gendarmerie pour faire la lumière sur cette opération. Une fois les sites dégarnis, le groupe Benamor se lance dans une grande opération de communication et de marketing faisant l'éloge de ce partenariat stratégique d'un type nouveau destiné à redynamiser l'un des plus grands sites agro-industriels du pays à l'arrêt de plus de 16 ans. Le président du Sénat français, Gérard Larcher, le vice-président du Conseil de la nation, l'ambassadeur français et M. Jean-Pierre Chevènement sont associés à l'évènement sur le site de Corso. Mais au moment où le partenariat prend de l'envol, coup de tonnerre : on décide de réévaluer les actifs de l'Eriad suivant la loi du commerce et un commissaire aux apports fut désigné et fait ressortir une évaluation qui laisse Benamor et son groupe perplexes. Le montant du commissaire aux apports dépasse de loin celui arrêté par Cetic qui a été à la base de cet accord de partenariat. La réévaluation qui glace le groupe Benamor Selon les documents en notre possession, la nouvelle réévaluation fait ressortir le double du montant arrêté par Cetic, soit 2600 millions de DA au lieu de 1200 millions de DA, ce qui représente un écart de 1400 millions de DA. Cette réévaluation a été rejetée par Benamor la jugeant excessive par rapport à celle établie par Cetic. Un écrit a été adressé par Benamor le 30 juillet 2013 au Premier ministre et au ministre de l'Agriculture motivant le rejet de cette réévaluation qui, selon Benamor, "constitue une contrainte majeure pour la poursuite des activités légales de la nouvelle société mixte et met en péril ce partenariat". Sur instruction d'Abdelmalek Sellal, une première réunion a été organisée au siège du ministère de l'Agriculture en date du 26 janvier 2014 pour tenter de trouver un compromis. Le groupe Benamor fait une proposition et demande la révision de l'évaluation qu'à hauteur de 1500 millions de DA, soit une augmentation de 300 millions de DA par rapport à celle établie en premier lieu par Cetic. Le groupe Eriad refuse et s'en tient à la réévaluation du commissaire aux comptes arguant que celle-ci a été validée par le CA de l'Eriad. Selon une source du groupe Benamor, ce dernier aurait cédé en acceptant la finalement la réévaluation faite par le commissaire aux acomptes. Mais un autre souci vient de faire surface et concerne le montant du programme d'investissement validé par le CPE et qui était fixé à 8,8 milliards de DA et que le Groupe Benamor a tenté de revoir à la hausse arguant les contraintes de réévaluation, de réajustement, fluctuations du marché, etc. Mais la partie Eriad aurait refusé de revoir le plan d'investissement proposé par la société MMC et le conflit repart de plus belle. Changement du plan d'investissement Selon nos informations, le groupe Eriad reproche en novembre 2014 au groupe Benamor de ne pas avoir établi le bilan comptable et les comptes sociaux de 2013 de la nouvelle société intégrant les apports de l'Eriad Alger, comme il reproche à Benamor d'avoir décidé de façon unilatérale et sans l'accord des actionnaires de fractionner le crédit d'investissement et d'avoir introduit auprès de la BEA en 2013 une demande pour la seule boulangerie industrielle pour un montant de 1134 millions de DA. Autre grief concerne le dossier d'investissement qui n'aurait pas été soumis à l'aval du conseil d'administration de la société MMC, sachant qu'Eriad Alger s'endette à travers sa participation à hauteur de 40% sur chaque crédit contracté. Nos sources précisent que malgré la résolution du CPE qui stipule que 30% du programme d'investissement sera financé par les apports des parties, soit 70% par crédits à lever auprès des banques, la BEA aurait accordé le crédit à MMC à hauteur de 85%... L'Eriad parle, selon nos informations, de non-respect par Benamor du plan d'investissement en introduisant auprès du Conseil national d'investissement (CNI) un plan qui ne correspondait pas au pacte des associés signé entre les deux parties et qui est passé de 8,8 milliards à 14,9 milliards de DA. En termes de planning, l'Eriad reproche à Benamor de n'avoir engagé aucune action pour le confortement des silos stratégiques, en dépit de la remise au partenaire de toutes les études réalisées en 2004 et validées par le CTC aux fins de leur actualisation. D'autres dysfonctionnements du partenariat sont également énumérés, comme l'absence d'informations sur les principaux actes de gestion de la société MMC. Une demande a été adressée par le ministre de l'Agriculture au premier ministre le 4 juin 2014 par laquelle il demande de réunir les organes sociaux de la société MMC pour reconfigurer le programme d'investissement de la société et de la dimension du marché. Le groupe Benamor réfute ces formulations en affirmant qu'il a tout fait pour ne pas compromettre le devenir de ce partenariat qui allait faire du site de Corso un lieu stratégique et économique exemplaire dans le pays. Les termes essentiels remis en cause "La société MMC, issue de ce partenariat public-privé, a rencontré des difficultés majeures handicapant sa mise en route effective : difficultés d'ordre juridique : évaluation et réévaluation du capital ; difficultés d'ordre administratif : blocages entraînant la non délivrance de l'acte de concession à la société constituée ; difficultés d'ordre financier : divergences sur le niveau du plan d'investissement", affirme le groupe Benamor aoutant que l'amoncellement de ces difficultés a conduit à "une remise en question des termes essentiels du partenariat, ne permettant ni de démarrer la nouvelle société ni de rendre opérationnelles ses activités". Et de préciser : "De multiples tentatives ont été initiées pour parvenir à un terrain d'entente sur les questions majeures qui constituaient des points de blocage. Après l'échec de ces tentatives, les deux parties ont convenu d'un commun accord, de mettre fin à ce partenariat", précise encore le groupe. Cette décision a été entérinée par le CPE et matérialisée par des modalités précises de mise en œuvre suivant la résolution n°15/147/24/03/2016. En vertu de cet accord de séparation conclu entre les deux parties et validé par le CPE, la partie Eriad récupère tous ses actifs constituant son apport au capital de la société MMC. Selon le groupe, aux termes de ce même accord, la partie Benamor - qui a gardé l'entité juridique MMC - a été autorisée à délocaliser la boulangerie et à procéder au transfert des équipements et des biens acquis par la société. Elle libère ainsi le complexe de Corso au profit d'Eriad, dont les nouveaux bâtiments construits qui rassemblent l'infrastructure de la boulangerie et le bloc administratif ainsi que les structures rénovées, nous affirment-on. Le complexe étant actuellement à l'arrêt, le groupe Benamor continue de prendre en charge l'intégralité des salaires des travailleurs toujours en poste, et ce en dépit de l'absence de fonctionnement, en attendant la délocalisation effective. "Nous regrettons le non aboutissement de ce projet dont les objectifs sont tout à fait opportuns pour le pays tant sur le plan économique que social et dans lequel le groupe Benamor s'est entièrement investi. Notre ambition n'était pas seulement de faire du site de Corso un complexe industriel de référence dans la région, mais un modèle de réussite de partenariat public-privé en Algérie, conformément aux choix initiés par les pouvoirs publics", indique le groupe Benamor. Et il ajoute : "Le groupe Benamor a démontré toute sa volonté et son engagement, en consacrant du temps et en fournissant des moyens nécessaires à la préparation et à l'aboutissement de ce partenariat". Il dit avoir assuré la mise à disposition de moyens annexes, notamment en cadres dépendant du Groupe, et a consenti des avances de fonds au profit de la nouvelle société pour faire face aux situations de blocage et répondre à l'urgence des investissements liés aux constructions et aux aménagements des structures rénovées. "Ces fonds sont considérés comme irrécupérables. Nous estimons que ce type de partenariat reste une solution très adaptée et souhaitée pour peu que les mécanismes de mise en œuvre soient respectés", conclut le groupe Benamor. Nos multiples tentatives pour joindre la directrice du groupe Eriad sont demeurées vaines. M. T.