La première exposition artistique familiale en Algérie, intitulée "Sagadar", se déroule depuis le 11 et jusqu'au 30 novembre aux ateliers Bouffées d'art (Ben Aknoun, Alger), où cinq artistes, unis par un lien de parenté, y présentent leurs œuvres. Cette "dynastie" de peintres, plasticiens et céramistes, que sont Jaoudet Gassouma, Karim et Belkis Sergoua, et Samia et Rachida Merzouk, s'est ainsi réunie pour exposer des œuvres – réalisées pour la plupart pour les besoins de cette exhibition – très éclectique par la démarche et le style, où chacun dénonce ou met en valeur un thème précis. Avec une vingtaine de toiles semi-abstraites, où dominent couleurs pétantes, formes et silhouettes humanoïdes, Karim Sergoua, instigateur du projet, explique que c'est une première dans le genre dans le pays : "Beaucoup de familles comptent en leur sein de talentueux plasticiens, comme Aïdoud Yacine dont les deux parents étaient artistes, les Lagoune, Mesli, Oulman et tant d'autres. Mais jamais une exposition de ce type ne s'est tenue. J'ai donc décidé d'organiser celle-ci, où chaque artiste a choisi d'aborder une thématique précise, comme les signes, les symboles ou encore l'identité." Même si ses toiles, au premier abord, donnent l'impression d'une certaine harmonie, leur message est tout autre selon Sergoua : "Nous sommes en 2017, et la crise est toujours là. Je suis contre la charte de réconciliation nationale, et contre le terrorisme sous toutes ses couleurs, essentiellement islamiste." À l'image du tableau Êtres purificateurs, où blanc et noir, pureté et impureté, sain et malsain se rejoignent, créant une atmosphère d'instabilité et d'angoisse, que fut la décennie rouge. Pour Jaoudet Gassouma – neveu de Karim – et son "néo pop'art", c'est, au contraire, une explosion de couleurs et de formes qui est célébrée dans chaque tableau, où cercles, ondulations, triangles et symboles berbères sont parsemés çà et là, comme une ode à la beauté, la joie et l'authenticité. Très libre dans ses mouvements, le pinceau de Gassouma fait montre d'une irrévérence assumée, ne s'imposant aucune règle, car l'art, essentiellement, est exempt de toute rigidité. La galeriste Djazia El-Mokhfi dira que sa peinture est "d'abord brute et libre". Pas forcément revendicatrice, car ce n'est pas l'objet de l'art, mais assurément "libératrice" pour le cas de ce plasticien. Pour Samia Merzouk, céramiste formée à l'atelier Bacha, et sa sœur, Rachida, épouse de Karim Sergoua, c'est une belle série de céramique, créée dans leurs ateliers "soupçons d'art" qui accrochent l'œil du visiteur. Avec ses mains de Fatma aux formes et couleurs originales, le but de cette exposition, affirme Samia, est de montrer au public que l'art peut aussi devenir utilitaire. Et, en retour, les objets du quotidien peuvent être beaux : "On est connues pour réaliser des objets uniques, déjantés, avec des formes tordues. Mais là, nous avons choisi des objets de l'ordinaire, qui peuvent également devenir décoratifs. On avait envie de rester dans l'esprit des peintures, qui ont un rôle esthétique." La fille de Karim Segoua, Belkis, explore un tout autre style que ses aînés, avec une peinture à l'huile et des personnages surréalistes. Avec une touche particulière, son pinceau déploie les différents profils d'un même personnage, comme pour montrer la versatilité ou la fragilité des êtres. Cette famille d'artistes nous prouve que le talent peut se transmettre d'une génération à une autre, et d'une école à une autre, pour peu qu'il soit bien canalisé et aiguillé. Y. A.