En marge de la première édition du Salon du livre amazigh organisé par la Faan (Fédération des Amazighs de l'Amérique du Nord), l'universitaire Boussad Berrichi a animé une conférence sur la production littéraire berbère. C'est un constat sans appel auquel est arrivé l'universitaire Boussad Berrichi, samedi, à l'occasion d'une conférence en marge de la première édition du Salon du livre amazigh, organisé par la Faan (Fédération des Amazighs de l'Amérique du Nord). "Les livres, ça prend des lecteurs", affirme d'emblée le conférencier qui enseigne à l'université d'Ottawa. Celui-ci fait un comparatif qui ne manque pas de pertinence. "Ainsi, si 10% des manifestants qui battent le pavé pour tamazight, chaque 20 avril, par exemple, daignaient acheter un livre amazigh, la production littéraire berbère ne se porterait que trop bien", suggère-t-il. Il s'agit d'un geste militant concret à mille lieues de la folklorisation qui consiste à déployer le drapeau amazigh dans des galas artistiques, un samedi soir. Pourtant, d'après l'orateur, il y a une production livresque prolifique et de haute facture, ce qui dénote de la vivacité du champ littéraire, selon le mot du sociologue Bourdieu. Il y a en effet, au niveau des catalogues, une pléthore d'auteurs amazighs qui ont perpétué une tradition éditoriale bâtie depuis la clandestinité, et même du temps de la colonisation française. "Il y a une nouvelle génération d'auteurs qui participe avec leurs œuvres et leurs productions à enrichir le champ littéraire d'expression amazighe", soutient l'intervenant. Il cite l'exemple des auteurs comme Brahim Tazaghart, Ahmed Nekkar, Saïd Iâmrache, Salem Zenia, Mohend Aït Tighilt, ainsi que les anciens comme Rachid Alliche, Amar Mezdad, Saïd Sadi, etc. Berrichi n'a pas manqué aussi de rappeler la contribution des pionniers comme Saïd Boulifa et Belaïd Aït Ali. Cet éveil linguistique se manifeste avec ferveur en Libye et plus encore au Maroc. Dans ces deux pays voisins, il y a un champ éditorial diversifié. Toute cette production constitue assurément un matériau académique pour la critique littéraire qui est affaire d'universitaires. Se pose donc le problème de la réception du public. Est-ce qu'il y a un lectorat d'expression amazighe ? Est-ce qu'il y a des lecteurs qui achètent des livres par acquit de conscience, par acte de militantisme, comme le font les islamistes ? Citant l'exemple du travail colossal réalisé par feu Mohya qui avait adapté des chefs-d'œuvre universels, M. Berrichi reconnaît que tamazight peut constituer un véritable substrat pour une production littéraire de haut niveau. C'est que le génie littéraire berbère s'exprime depuis les temps anciens. Pour étayer son propos, Berrichi convoque l'histoire lointaine de l'Afrique du Nord, du temps des peintures rupestres. Pour lui, nos ancêtres avaient une écriture antérieure à l'écriture alphabétique. Les Berbères de Numidie et plus tard dans le moyen-âge avaient écrit dans des langues autres que la leur. Apulée, saint Augustin, Ibn Khaldoun, Ibn Toumert ont écrit en latin, pour les uns, et en arabe pour les autres. En revanche, ils ont tous puisé dans un fonds stylistique et littéraire de leur culture ancestrale, explique l'universitaire. "C'est Mouloud Mammeri qui a conceptualisé l'usage de la langue étrangère comme moyen de libération de la pensée", conclut le conférencier pour qui le défi aujourd'hui est de "bâtir" un lectorat pour le livre amazigh. Y. A.