Il y a quelques années, ils choisissaient les villes du littoral, avec l'intention de regagner un pays européen. Maintenant, ils viennent pour s'y installer, sans se faire d'illusions quant à un éventuel passage en Europe. L'Algérie, qui était une région de transit vers l'Europe, est devenue, progressivement, un pays d'immigration du fait de la générosité des Algériens et le resserrement des politiques migratoires de l'Union européenne. Provenant du Niger, du Mali, du Cameroun, du Sénégal et d'autres pays africains et arabes, ils vivotent dans la mendicité. Bordj Bou-Arréridj est une wilaya stratégique pour sa facilité d'accès vers le centre, l'ouest, l'est et le sud du pays. Pas de statistiques officielles sur leur nombre, mais ils seraient des centaines qui squattent plusieurs endroits de la capitale des Biban. Ce qui est sûr, en revanche, c'est que Bordj Bou-Arréridj n'est plus seulement une ville de transit vers l'eldorado, mais une destination finale. Les périodes de migration, décrites comme étant de transit, deviennent de plus en plus longues et de plus en plus d'éléments prouvent que les migrants arrivent à Bordj Bou-Arréridj avec l'intention de s'y installer. Certains y sont restés 4 ans, sans le moindre papier et sans être inquiétés. Ils ne vivent plus uniquement aux alentours des villes, mais aussi dans les quartiers populaires ou dans les constructions à l'arrêt et inachevées. Ils ont fui la misère et la précarité économique de leur pays et décidé d'émigrer à Bordj Bou-Arréridj en quête non pas d'un travail mais de survie. Il y a quelques années, ils choisissaient les villes du littoral, avec l'intention de regagner un pays européen. Maintenant, ils viennent pour s'y installer, sans se faire d'illusions quant à un éventuel passage en Europe. Ils errent dans les rues en quête d'âmes charitables pour finir dans la mendicité. Le rituel est devenu quotidien. Peu avant le lever du jour, des silhouettes se déplacent en silence dans les ruelles du centre-ville de Bordj Bou-Arréridj, pour se poster devant les mosquées, les marchés et les grands magasins. Dans quelques heures, ces quartiers grouilleront de badauds et de marchands ambulants. Mais, pour l'heure, seule cette étrange procession vient rompre la quiétude de l'aube. Aboubakr avait à peine 19 ans quand il a quitté le Mali pour Bordj Bou-Arréridj en 2015. Il est l'aîné d'une fratrie de six enfants. Son père, ne travaillant qu'occasionnellement comme réparateur de vélos, est marié à deux femmes. Aboubakr quitte l'école et, poussé par son père qui lui donne une somme d'argent, il met le cap sur l'Algérie à la recherche d'un travail. "Je ne pouvais plus vivre dans un taudis à Gao, nous manquions de tout. On nous disait que les Africains étaient bien traités en Algérie et qu'ils trouvaient facilement du travail, je n'ai pas hésité. Je suis jeune et en bonne santé. Mais depuis trois ans que je suis là, je n'ai fait que de menus travaux. Ma famille m'a envoyé ici pour travailler et lui envoyer de l'argent, j'ai honte de ne pas pouvoir le faire", raconte Aboubakr d'une voix à peine audible. Nombre de Bordjiens sont gentils avec ces migrants irréguliers qui commencent à investir l'espace urbain. Ils sont "logés ou mis à l'abri'', nourris, vêtus, soignés et possèdent même des téléphones portables pour communiquer avec leurs proches vivant dans d'autres wilayas ou encore dans leur pays d'origine. Plusieurs d'entre eux ont déjà été refoulés à trois ou quatre reprises. Chaque fois, ils ont parcouru plusieurs centaines de kilomètres à pied pour revenir. "Que faire d'autre ? Nous ne pouvons pas rentrer chez nous ! Que vont dire les nôtres quand ils nous verront revenir encore plus pauvres qu'à notre départ ?", expliquent-ils. Malgré ses tribulations, faute de pouvoir passer en Europe, Aboubakr ne veut pas entendre parler d'un éventuel retour dans son pays. Il se sent mieux qu'au Mali. "Ici, au moins, les possibilités de travail existent et les Bordjiens ne sont pas trop méchants même s'ils se méfient souvent. Le fait que j'aie appris un peu l'arabe m'a beaucoup aidé. À Bordj Bou-Arréridj on est presque en Europe", confie-t-il. Il a un seul objectif : trouver un travail stable pour dénicher un titre de séjour. Un parcours du combattant que peu de sans-papiers accomplissent jusqu'au bout. Ils vivent en communauté, selon la nationalité ou la tribu. À la tête de chaque communauté il y a un chef qui coordonne la vie avec les autres communautés migrantes, a-t-on remarqué lors de notre enquête sur le terrain. Pour les plus chanceux, qui ont réussi à avoir un peu d'argent, ils rentrent chez eux chargés de cadeaux et reviennent avec d'autres membres de leur famille ou en communauté. Pris de court par cette immigration qui, à l'origine, devait être transitoire, certains Bordjiens commencent à sentir le danger d'une mauvaise prise en charge du problème et réclament une réaction rapide et efficace. Pour la direction de l'action sociale de Bordj Bou-Arréridj, ce phénomène n'est pas nouveau et la prise en charge de ces immigrés clandestins sur le plan humanitaire ne se pose pas. "Des actions journalières sont faites par nos brigades afin d'apporter secours aux malades, et offrir des habits, de la nourriture et des couvertures", dira M. Dhimi, directeur par intérim de la DAS de Bordj Bou-Arréridj et qui tient à préciser que le problème se pose non pas dans la prise en charge mais dans la localisation de ces clandestins qui changent d'endroits en permanence. Du côté des ONG locales, "la question de l'immigration clandestine est devenue un enjeu politique. On cherche toujours à surestimer et à dramatiser l'immigration clandestine". En effet, faute de mieux pour ces clandestins, les ONG locales se contentent de distribuer des denrées alimentaires, surtout le soir, et d'apporter des soins aux malades. Mais ils n'ont pas les moyens de les faire sortir de la précarité dans laquelle ils vivent. "Les âmes charitables de Bordj, en particulier, et de l'Algérie, en général, font que personne ne meurt de faim, de froid ou reste sans soins médicaux", dira Mustapha un enseignant et chercheur en sociologie, avant d'ajouter : "Il faut que l'Etat trouve une solution pour leur résidence et leur identification." "L'Algérie est en train de vivre une contradiction flagrante. Elle a l'obligation morale d'être cohérente avec son attitude de défense des droits des migrants et de faire preuve de compréhension des problèmes auxquels ces derniers sont confrontés", conclut-il.