Aujourd'hui, loin d'un dithyrambe sépulcral, c'est plutôt une affirmation discrète conjuguée à un incandescent souvenir que nous apportons sur ce grand personnage, curieusement fier de son "amazighité" et de sa concordance, distingué de discernement et ouvert au progrès planétaire. Il avait 85 ans, le 23 janvier 2012, quand il quittait à jamais ce monde éphémère et rejoindre l'Eternel. Six ans sont déjà passés depuis que son âme s'est envolée vers l'au-delà quand, terrassé par une maladie chronique, Cherif Kheddam rendit son dernier souffle dans un hôpital parisien. Parler aujourd'hui du maestro du luth, c'est aussi occulter le grand poète qu'il était. Avec son palmarès triptyque, voire chanteur, auteur, compositeur, il a durant toute sa carrière matérialisé le modèle d'un orchestrateur classique, même si son nom est lié à la réviviscence de la musique kabyle dont il est l'un des rénovateurs. Connu pour ses chansons, perçues comme des chefs-d'œuvre du patrimoine culturel algérien en général, kabyle en particulier, Cherif Kheddam incarne aussi l'image d'un artiste qui semblait se consumer sur scène, comme si sa vie en dépendait. Gestes théâtraux, visage en sueur, il séduisait le plus commun de ses admirateurs. La silhouette que ses fans gardent toujours de lui évoque l'allure de ce gentleman élégant avec une moustache fine, un costume et une cravate de rigueur et des lunettes d'écaille dégageant la touche du professeur qu'il était. Aujourd'hui, loin d'un dithyrambe sépulcral, c'est plutôt une affirmation discrète conjuguée à un incandescent souvenir que nous apportons sur ce grand personnage, curieusement fier de son "amazighité" et de sa concordance, distingué de discernement et ouvert au progrès planétaire. Amazigh jusqu'à l'extravagance, il avait la régularité de sortir de leurs crapaudines les marauds de tous bois et les faquins de tous bords en utilisant son arme infaillible qui consistait en un raisonnement émaillé généralement d'une poésie engagée, raffinée et excessivement intelligente. Issu du village Boumessaoud (commune d'Imsouhal, en plein cœur du Djurdjura), où il est né en 1927, Cherif Kheddam a grandi dans une famille modeste. À peine âgé de neuf ans, son père, marabout de confession, l'envoya à la zaouïa de Boudjellil, à Tazmalt, pour suivre des cours coraniques. Un parcours qui n'ira pas à son terme puisque, ce qui paraissait paradoxal à l'époque, il vira vers la poésie et la musique. À quinze ans, il se retrouva à Oued Smar, à Alger, pour travailler dans une fonderie avant de prendre, en 1947, la destination de la France pour s'établir à Saint-Denis puis à Epinay, dans la région de l'Ile-de-France, où il devait être recruté dans une fonderie avant de rejoindre une entreprise de peinture. Durant ses moments libres, il se consacrait aux cours de solfège et de chant. En 1955, il a chanté A Yellis n'Tmurthiw (Fille de mon pays), un prodrome à une carrière monumentale affirmée, entre autres, à l'adoration de la femme et à sa liberté qui lui permettra, une année plus tard, de conclure un contrat avec l'édition Pathé Marconi avec un premier disque 78 tours. Dès lors, il a composé pour Radio-Paris puis pour l'ORTF plusieurs tubes réalisés par le grand orchestre de la radio sous la direction de Pierre Duvivier ainsi que plusieurs morceaux interprétés par l'orchestre de l'Opéra-Comique. Prônant la romance à l'amour et à la beauté de la femme, à une époque marquée par les tourments et caractérisée par la peur et des hantises d'une indépendance que l'Algérien voyait à la fois imminente et incertaine, Cherif Kheddam compose, en 1961, Lehjav n'Therrith (le voile de la femme libre). En 1963, il revient en Algérie et il dirige une émission, "Ighenayen Ouzekka" (les chanteurs de demain), consacrée aux jeunes talents. Avec un riche répertoire, la dimension artistique de Cherif Kheddam, qui a marqué toute une génération de chanteurs comme Nouara, Aït Menguellet et bien d'autres, est essentiellement liée à son art sur lequel le temps et ses mutations n'avaient nulle influence, tant et si bien que sa longévité, qui a combiné en permanence et avec finesse la perfection et l'intemporalité, constitue une référence unique du genre et la voie artistique par excellence. Dans un élan didactique, Da Cherif s'est perpétuellement consacré au sens de la vie, à ses tourments, mais aussi aux pressentiments spirituels, au respect mutuel, à la reconnaissance de l'autre et aux divers sujets consubstantiels à la vie politique et sociale. Un almanach qui incarne, par narration, celui du célèbre poète Si Moh ou Mhand dont la fameuse ritournelle marqua la poésie kabyle du XIXe siècle. Marquant son époque et les suivantes, avec la propulsion de jeunes chanteurs qui se reconnaissent aujourd'hui dans son influence, Cherif Kheddam a quitté ce monde en laissant derrière lui un parcours qui demeurera toujours un modèle digne d'une légende de la chanson kabyle. R. SALEM