Trois années sont déjà passées, depuis que Cherif Kheddam quittait à jamais cette vie fugace, à l'âge de 85 ans. Chanteur, auteur, compositeur, il a, durant toute sa vie, incarné l'archétype du musicien classique même si son nom est lié au renouveau de la musique kabyle. L'image que nous gardons toujours de lui évoque l'allure de cet homme élancé avec une moustache fine, un costume et une cravate de rigueur et des lunettes d'écaille dégageant la touche du maestro qu'il était. Le sigisbée insondable de l'esprit avait rendu l'âme le 23 janvier 2012 à Paris (France), des suites d'une maladie chronique. Aujourd'hui, loin d'un dithyrambe sépulcral, c'est plutôt une affirmation discrète conjuguée à un incandescent souvenir que nous apportons sur ce grand personnage fier de sa "kabylité", habillé de discernement et ouvert au progrès planétaire. Issu du village Boumessaoud, dans la commune d'Imsouhal, en plein cœur du Djurdjura, où il est né en 1927, Cherif Kheddam a grandi dans une famille modeste. A peine âgé de neuf ans, son père, marabout, l'envoya à la zaouïa de Boudjellil, à Tazmalt, pour suivre des cours coraniques. Un parcours qui n'ira pas à son terme puisqu'il vira vers la poésie et la musique. A quinze ans, il se retrouva à Oued Smar, à Alger, pour travailler dans une fonderie avant de prendre, en 1947, la destination de la France pour s'établir à Saint-Denis puis à Epinay, dans la région d'Ile-de-France où il devait être recruté dans une fonderie avant de rejoindre une entreprise de peinture. Durant ses moments libres, il se consacrait aux cours de solfège et de chant. En 1955, il a chanté A yellis n'Tmurthiw (fille de mon pays), un prodrome à une carrière monumentale affirmée, entre autres, à l'adoration de la femme et à sa liberté qui lui permettra, une année plus tard, de conclure un contrat avec l'éditeur Pathé Marconi avec un premier disque 78 tours. Il a composé pour Radio-Paris puis pour l'ORTF ainsi que plusieurs morceaux interprétés par l'orchestre de l'Opéra Comique. Cherif Kheddam compose, en 1961, Lehjav n'Therrith (le voile de la femme libre). En 1963, il revient en Algérie et dirige l'émission Ighenayen Ouzekka (les chanteurs de demain) consacrée aux jeunes talents. La dimension artistique de Cherif Kheddam, qui a marqué tout une génération de chanteurs comme Nouara, Ait-Menguellet et bien d'autres, est essentiellement liée à son art sur lequel le temps et ses mutations n'avaient nulle influence. Dans un élan didactique, Da Cherif s'est consacré au sens de la vie, à ses tourments mais aussi aux pressentiments spirituels, au respect mutuel, à la reconnaissance de l'autre et aux divers sujets consubstantiels de la vie politique et sociale. R. S.