Cet expert, également membre de l'Association italienne des architectes et ingénieurs, dénonce, dans cet entretien, le laxisme, voire la compromission, des responsables locaux dans la prolifération des infractions aux règles urbanistiques et de construction. Liberté : Quelle est exactement l'ampleur des dégâts occasionnés sur le tissu urbain par le fait de constructions illicites ou non conformes à la réglementation ? Abdelhamid Boudaoud : La gestion du foncier et son administration, comme c'est le cas dans notre pays, est un acte volontaire basé sur une très bonne information permettant au responsable de prévoir ses conséquences. Les objectifs de la loi sur les réserves foncières étaient de protéger les terres agricoles, freiner la spéculation portant sur les terrains à bâtir et surtout rationaliser la définition et l'implantation des équipements collectifs et des aménagements apportés par les collectivités locales. Le non-respect de cette loi a généré les constructions illicites et surtout la prolifération de bidonvilles qui occupaient des terrains valant de l'or (de 1954 à nos jours cette saignée n'a pas arrêté). Ces anomalies ont instauré un marché foncier s'exerçant seulement et principalement entre la commune et les particuliers Les dégâts occasionnés sur le tissu urbain relèvent donc de la responsabilité directe des collectivités locales qui ont fait preuve de laxisme, voire organisé un trafic... Le citoyen qui demande un permis de construire dans les règles de l'art et dont l'administration tarde à lui répondre, c'est-à-dire au-delà de trois mois de délai conformément à la réglementation, n'en fait qu'à sa tête. Un autre problème a surgi depuis : c'est le non-respect de la loi, et je m'explique. Le cahier des charges d'une zone donnée stipule, par exemple, R+1 ou R+2 pour l'obtention du permis, le citoyen aura une réponse dans ce sens et surtout avec la mention suivante : l'étude doit être réalisée conformément aux plans approuvés. Mais ce dernier ne respecte pas la loi en vigueur et crée aussi des problèmes énormes à l'esthétique urbanistique et au cachet architectural sans que personne ne le rappelle à l'ordre. Ces constructions non conformes à la réglementation causent une incidence financière énorme à l'Etat. Est-il possible de remédier à la situation eu égard à la guerre menée depuis quelques semaines par les autorités contre les auteurs d'infractions ? C'est un virage qu'il faut négocier. Chaque commune doit recenser les constructions implantées sur son territoire ; faire un relevé de ce qui est conforme et de ce qui ne l'est pas ; de faire le point sur ce qui reste à accomplir… Pour l'exemple, à El-Hamiz et El-Djorf, le réseau d'AEP et d'assainissement n'existe pas. Je pense, qu'au-delà de la nécessité de localiser les responsabilités, l'Etat doit mettre en œuvre des ressources financières conséquentes pour redresser la situation. La contribution du citoyen est tout aussi indispensable. Jusqu'à présent, les auteurs des infractions misent sur le fait accompli. Cela ne veut pas dire que c'est une partie gagnée par le citoyen, normalement, il doit y avoir une étude minutieuse au cas par cas pour résoudre ce problème définitivement et ne plus en parler. La question que je me pose, c'est comment les quartiers cités ci-dessus sont nés. Par exemple, on peut censurer un livre, on peut rater un train, mais on ne pourra jamais ignorer une construction qui s'érige pendant une longue période. Que chacun assume ses responsabilités. Je demande que la loi soit appliquée avec rigueur puisque l'arsenal juridique existe ; il suffit de l'appliquer seulement. L'expérience de Boumerdès a montré que le non-respect des normes de construction engendre de lourdes conséquences. Comment ne pas rééditer ce drame ? Nous sommes en 2005. Nous n'avons plus le droit à l'erreur si nous voulons donner à Alger le statut de métropole. Je me pose des questions : “Où étaient les responsables au moment des infractions ? Pourquoi a-t-on laissé faire ?” Si on avait appliqué les lois avec rigueur, nous ne serions pas arrivés à cette anarchie honteuse. Nous avons les meilleurs textes de loi, mais leur application laisse à désirer. C'est dramatique. Je dirais que les responsables sont les premiers à les enfreindre. Pratiquement, l'ensemble des cités est réalisé par les Opgi, sans permis de construire, ni certificat de conformité sur tout le territoire national. Ces offices n'ont même pas d'archives de leurs cités. Si l'Opgi de Boumerdès avait les plans et les cahiers de chantier, il aurait été plus facile de savoir qui est responsables des infractions. Les enquêtes menées récemment par la direction de l'urbanisme et de la gendarmerie ont abouti à l'implication d'élus communaux et de responsables locaux de l'urbanisme… La complicité est généralisée au milieu de la pyramide, c'est-à-dire au niveau de ceux censés veiller au respect des lois et procéder au contrôle des chantiers. Même les architectes ont leur part de responsabilité. À mon sens, il faut comme premier administrateur du secteur de l'habitat une personne qui connaît toutes les lois et les études urbanistiques. Une personne ayant le courage de prendre les décisions fermes qui s'imposent pour mettre fin à la gabegie. S. H.