Amnesty International et Human Rights Watch dénoncent l'absence de mesures américaines pour sanctionner les dépassements dans les prisons et soupçonnent une torture systématique des prisonniers. “Les Etats-Unis ont parfaitement conscience des allégations selon lesquelles les prisonniers détenus par les Etats-Unis dans le cadre de la guerre mondiale contre le terrorisme ont été soumis à la torture ou à d'autres mauvais traitements”, a récemment affirmé le représentant américain devant la commission des droits de l'Homme des Nations unies. Il a également ajouté : “Lorsque des soupçons de torture ou d'autres traitements illégaux se font jour, ils font l'objet d'une enquête et s'ils se confirment, ils font l'objet de poursuites.” Ces déclarations n'ont apparemment pas convaincu les responsables des organisations non gouvernementales de défense de droits de l'Homme. Jumana Musa, la responsable d'Amnesty International, a clairement affiché ses doutes en affirmant que le rapport américain présenté à la commission onusienne des droits de l'Homme “niait ou minimisait les soupçons contre les Etats-Unis”. Même son de cloche du côté de Human Rights Watch, dont le chargé des dossiers militaires ou de contre-espionnage, John Sifton, a estimé que le document n'avait d'autres objectifs que de “disculper” les responsables américains. Ces doutes sont confortés par les légères sanctions prises à l'encontre des militaires incriminés dans les affaires de torture de la prison irakienne d'Abou Ghraïb, plus d'un an après la révélation du scandale. Le coup de théâtre dans le procès de la soldate Lynnie England, repoussant encore la clôture de la phase judiciaire, montre la légèreté avec laquelle est traité le sujet par la justice américaine. L'aveu de culpabilité a été rejeté par le juge présidant la cour martiale de Fort Hood (Texas, Sud) après le témoignage d'un supérieur le contredisant. Selon Reed Brody, un juriste de l'organisation Human Rights Watch, “les soldats de base endossent la responsabilité d'Abou Ghraïb mais ceux qui ont établi les procédures échappent à toute punition” alors que “c'est le secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld et le général Ricardo Sanchez, pas Lynndie England, qui ont autorisé les abus sur les détenus”. Jusqu'à maintenant, la seule sanction ayant touché un gradé, si l'on excepte la dégradation du général Janis Karpinski au grade de colonel par le président George Bush, aura été la condamnation du sergent Ivan Frederick à huit ans de prison après qu'il eut plaidé coupable à Bagdad. ` Par contre, le général Sanchez, commandant des forces américaines en Irak à l'époque du scandale, et trois autres hauts gradés ont été totalement blanchis par une enquête de l'armée. Les condamnations prononcées jusqu'à maintenant “sont extrêmement clémentes”, estime Robert Goldman, professeur de droit à l'université américaine de Washington. “On peut recevoir une peine plus lourde pour la seule possession de marijuana”, ajoute le juriste. Le président de l'Institut national de justice militaire, Eugène Fidell, un organisme indépendant, estime qu'Abou Ghraïb illustre aussi la difficulté de l'armée à sanctionner les failles dans la chaîne de commandement. Alon Ben-Meir, professeur de relations internationales à l'université de New York, trouve que cette histoire de torture ne peut que nuire à la réputation des Etats-Unis au Moyen-Orient, où l'opinion considère que seuls des exécutants ont été sanctionnés. K. A.