"Profitant du vide au sommet de l'Etat, les forces extraconstitutionnelles se font plus arrogantes", a dénoncé l'ex-chef de gouvernement. L'Algérie est-elle en train de naviguer à vue ? S'il se refuse à verser dans l'alarmisme et à noircir le tableau, l'ex-chef du gouvernement, Ali Benflis, aujourd'hui à la tête de Talaie El-Houriat (L'Avant-garde des libertés), n'en dépeint pas moins un pays "qui n'est pas gouverné", et dont la situation politico-économico-sociale peut conduire à des "dérapages", faute d'un traitement sérieux et en profondeur de la crise. "L'Algérie indépendante a connu des périodes difficiles, des crises politiques, des crises économiques et sociales, les crises sécuritaires des années 90, qui ont mis à rude épreuve la stabilité et la sécurité nationales. Mais je n'exagérerai pas en affirmant que jamais notre pays ne s'est trouvé dans une situation aussi délicate, porteuse d'un aussi grand risque de rupture de la paix civile, de la stabilité, et de la sécurité nationales, comme aujourd'hui !", a regretté, hier, Ali Benflis, lors d'une conférence de presse organisée au siège de son parti à Alger. "Et pour cause ! L'impasse politique est totale", dit-il. "Le pouvoir autiste ignore les partis politiques et la société civile et fait la sourde oreille aux lanceurs d'alerte. Il s'est enfermé dans ses ‘fausses' certitudes et ses illusions. Les cercles du pouvoir s'entre-déchirent pour se positionner en vue de l'échéance présidentielle par médias et clientèles interposés. Profitant du vide au sommet de l'Etat, les forces extraconstitutionnelles se font plus arrogantes. Les lobbies n'ont jamais été aussi actifs pour influencer la décision gouvernementale", observe-t-il encore. Selon lui, la gestion gouvernementale se caractérise par l'improvisation, allusion probablement au cafouillage ayant entouré l'ouverture des entreprises aux capitaux privées, mais également l'établissement de la liste des concessionnaires automobiles ou encore les annonces concernant les transferts sociaux. "Le pays n'est pas gouverné. Le gouvernement improvise et se ravise. Les plus grands problèmes du pays sont laissés en jachère. Le pouvoir gagne du temps sur la trajectoire qui mène à 2019", soutient M. Benflis. "Près de quatre ans après le début de la crise, nous constatons que le gouvernement continue à naviguer à vue. Les gouvernements qui se sont succédé ont échoué parce qu'ils ont été incapables d'engager les réformes aussi urgentes que nécessaires pour faire face à la crise, par manque de courage politique et de légitimité." Le pouvoir pousse à la radicalisation Détaillant les marqueurs de la crise (inflation, informel, climat des affaires délétère, la corruption, fuite des capitaux, évasion fiscale, paupérisation, etc.), Ali Benflis suggère que le recours des citoyens aux grèves et aux manifestations pacifiques, dans ce contexte, est légitime. "Plutôt que de répondre à ces revendications par le dialogue responsable et la concertation, ce qui est la marque d'une gestion responsable des conflits sociaux dans un régime démocratique, le pouvoir en place, fidèle à ses habitudes, a opté pour la démarche répressive des régimes autoritaires : le recours à la force brutale, les intimidations et menaces de représailles, l'instrumentalisation de l'arsenal judiciaire pour déclarer les grèves illégales, les sanctions administratives sur la base des ‘décisions' de justice, tels les retenues sur salaires, les licenciements et les radiations", accuse-t-il. Il dénonce, dans le même ordre d'idées, la stratégie de division adoptée par l'Exécutif pour gérer la crise dans les hôpitaux et les écoles, notamment. "Plutôt que de s'engager sur une voie apaisée pour baisser les tensions sociales, le pouvoir a recours à la stratégie de la division en tentant de monter les familles des malades contre les médecins, les parents d'élèves contre les enseignants, les usagers de la route contre les marcheurs, les voyageurs contre les syndicats des compagnies aériennes nationales et les cheminots", dénonce-t-il. "Ou, encore la stratégie de la peur et les accusations tantôt de la main de l'étranger tantôt de l'ennemi intérieur qui veulent déstabiliser le pays." Une démarche qui risque d'avoir l'effet inverse du but recherché, met en garde l'ancien candidat à l'élection présidentielle. Constituante : un refus diplomatique Qualifiant de "préoccupante" la situation, dont la responsabilité incombe entièrement au pouvoir "sourd" au dialogue et auteur de la neutralisation des mécanismes de médiation, Ali Benflis appelle l'opposition à demeurer une "force de proposition". "L'opposition ne doit pas baisser les bras. Elle doit demeurer une force de proposition pour amener le pouvoir en place à ouvrir un dialogue inclusif pour une sortie de crise. Mais pour peser de tout son poids, l'opposition doit laisser de côté ses différences secondaires et se regrouper autour d'une démarche collective dont la finalité première est de sortir notre pays de la crise dans laquelle il s'enfonce chaque jour davantage." Interrogé, dans ce contexte, sur la proposition de Louisa Hanoune quant à l'élection d'une Assemblée constituante, Ali Benflis, tout en affirmant "respecter le parti, Mme Hanoune et son initiative", suggère que son parti plaide plutôt "pour des élections transparentes, puis l'élection d'un Parlement duquel sortira un gouvernement d'union nationale, l'adoption d'une charte (...) un processus que va accompagner l'armée". "Quand il y aura un dialogue avec tout le monde, sans exclusive, à ce moment-là le peuple choisira ce qui lui convient", dit-il. Aussi, à propos de l'appel de Djilali Soufiane à une candidature unique de l'opposition, il soutient qu'"il est prématuré de parler de la présidentielle, laquelle n'est pas une priorité".
"Je ne suis pas comptable de l'interdiction des marches à Alger" C'est l'une des accusations récurrentes qui le ciblent : sa décision en 2001, après les dérapages de la fameuse marche des coordinations des villages et archs de Kabylie, de l'interdiction des marches à Alger, en vigueur depuis. Sur ce registre, Ali Benflis révèle que c'est lui-même, "après discussion au gouvernement alors qu'on était sous le régime de l'état d'urgence", qui avait donné l'autorisation de la marche. "Avant cette marche, il n'y avait pas de marches. C'est moi qui avais dit à la wilaya de l'autoriser. Après les dérapages qu'il y a eus, puisqu'il y a eu des infiltrations et nous avions estimé sur la base de notes que des risques sécuritaires étaient présents, j'avais décidé d'interdire les marches, mais pour quelque temps seulement. J'ai quitté le gouvernement en 2003, combien y a-t-il eu de gouvernement depuis ?", s'est-il interrogé. "Je suis comptable de l'autorisation de la marche et des dérapages qu'il y a eus (...) S'ils considèrent que j'ai commis une erreur, pourquoi ne la réparent-ils pas ?" Karim Kebir