Le poids de la mémoire entre l'Algérie et la France a été l'un des principaux axes de l'intervention de Dominique de Villepin, mardi soir, à l'Ecole supérieure algérienne des affaires (ESAA), à Alger. Intitulé "Réconcilier les silences : donner sa parole pour la paix", la conférence a été une occasion pour l'ancien Premier ministre français de revenir sur l'histoire commune des deux pays. Il appellera à "donner la parole aux témoins (...) à l'Histoire" en précisant qu'"aujourd‘hui, nous n'avons pas besoin de bavardages ou de mots creux sur la mémoire coloniale" mais "de paroles claires et fortes". Il préconise ainsi une "justice des archives", en partageant les archives algériennes entre Alger et Paris. Ce qui rentrera dans un esprit d'"apaisement mémoriel", lancé par la décision d'Emmanuel Macron "d'accéder à la demande d'intellectuels de nos deux pays, en restituant les crânes de combattants algériens du XIXe siècle, tués par les troupes coloniales et conservés jusqu'à aujourd'hui par le Musée de l'Homme". Un "processus de réconciliation" sur lequel table Dominique de Villepin en insistant sur l'importance des "gestes symboliques". Il rappellera la déclaration d'Emmanuel Macron en février 2017, à Alger, sur la colonisation, en la qualifiant de "crime contre l'humanité". Il n'omettra pas de mettre en avant un autre geste : "Comme l'a fait François Hollande avant lui, en offrant une reconnaissance publique nécessaire aux victimes du 17 Octobre 1961, tout autant qu'à celles de Sétif en 1945". Il en profitera également pour glisser un appel à Alger pour la levée de l'obligation de visas pour les harkis et les pieds-noirs "avant que leur génération ne s'efface à jamais"... Sur le plan régional, l'ancien Premier ministre français a lancé l'idée de création d'un "Forum 2+2" réunissant l'Algérie et le Maroc, d'un côté, et la France et l'Espagne, de l'autre, avec comme objectif de "désamorcer les tensions au Sahara occidental". Le natif de Rabat expliquera son initiative par un avertissement en affirmant que le "conflit politique pourrait laisser le champ libre à la radicalisation d'une nouvelle génération sahraouie ayant grandi dans les camps de réfugiés, ce qui constituerait à terme un risque terroriste accru au niveau régional". En proposant ce nouveau "regroupement" régional, l'ancien Premier ministre français a en même temps avoué qu'il avait peu d'espoir dans la réussite des deux autres projets, l'UMA et l'UPM. La multitude des fractures politiques, selon lui, en sont la principale raison. Dominique de Villepin a défendu l'idée de créer un "remake" de la Ceca (Communauté européenne du charbon et de l'acier, lancée en 1951) du Vieux Continent, mais cette fois, cela concernera le pétrole et le gaz. L'objectif sera de réunir, notamment, l'Iran et l'Arabie saoudite autour d'intérêts économiques communs et, ainsi, de se rapprocher d'une "paix durable". Tout en admettant que l'idée était "irréaliste pour beaucoup", il rappellera que le projet européen était également perçu comme utopique au début. Une paix si précaire, et pas uniquement au Moyen-Orient L'ancien Premier ministre français citera deux autres zones à risques : la Corée du Nord et l'Europe. Une instabilité qu'il incombe, à demi-mot, à la Chine et à la Russie, mais qu'il expliquera en convoquant l'Histoire. Le diplomate chevronné qu'il est précisera que ces deux pays proviennent d'"un monde d'humiliés" et qui, dorénavant, sont "sortis du silence". Pékin et Moscou ne font, selon Dominique de Villepin, que se protéger contre les tentatives de déstabilisation interne. Un prisme à travers lequel, il est indispensable de voir pour comprendre l'actualité mondiale. Salim KOUDIL