L'annonce en ce mardi de la "rupture" par le Maroc de ses relations avec l'Iran mérite d'être retenue. Officiellement, Rabat accuse Téhéran d'avoir, via le Hezbollah libanais, facilité la livraison d'armes au Front Polisario. Le Maroc parle ainsi d'une implication selon lui prouvée de membres œuvrant auprès de l'ambassade d'Iran à Alger dans ce trafic. Le Hezbollah a rapidement rejeté cette accusation ; l'Iran, pour sa part, a mis 24 heures avant de nier une quelconque implication de sa part dans des trafics d'armes bénéficiant au Polisario. Pourtant, le Maroc semble prendre très au sérieux cette affaire, comme le montre le retrait de son ambassadeur en Iran. Ce n'est pas la première fois que le Maroc exprime un malaise dans ses relations avec l'Iran. On se souvient ainsi que, en 2009 déjà, une rupture similaire avait été décidée par Rabat sur fond d'accusation de l'Iran de procéder à du "prosélytisme religieux" dans le royaume ; cette suspension durera jusqu'en 2014. Aujourd'hui, Rabat nie que sa décision soit liée d'une quelconque manière aux tensions régionales et/ou internationales impliquant Téhéran. On est pourtant tenté de penser que le lien est bel et bien présent. Et pour cause : la qualité des relations prévalant entre Rabat et chacun de Washington et Riyad, tous deux se trouvant en termes peu amènes avec Téhéran. Le lien étroit entre le Maroc et les Etats-Unis n'est un secret pour personne, les deux pays s'étant régulièrement targués d'avoir des liens historiques exceptionnels. De plus, après les attentats du 11 septembre 2001, Washington accentuera les termes de sa coopération avec Rabat, pays vu comme essentiel dans le développement d'une architecture sécuritaire régionale efficace. Le Maroc bénéficie tout aussi bien de relations exceptionnelles avec l'Arabie saoudite ; celles-ci, favorablement articulées tant aux niveaux diplomatique que personnel (le Maroc est un lieu de villégiature privilégié pour nombre de membres de la famille royale saoudienne), n'ont pas ou que peu failli à travers l'histoire, en dépit de la présence apparente de quelques épisodes de tensions aujourd'hui. Dans les faits, les accusations du Maroc quant à la présence d'une hégémonie régionale iranienne font sens. L'Iran est en effet présent dans plusieurs perspectives religieuses comme commerciales s'étendant notamment tant sur le Moyen-Orient que dans une partie du continent africain ; évidemment, la crainte de la part de beaucoup de pays de voir cette "influence religieuse" se traduire par un ascendant stratégique iranien plaît à très peu de monde. À y regarder de plus près pourtant, si ascension régionale de l'Iran il y a eu, c'est pour beaucoup grâce aux stratégies favorisées par les Etats-Unis et/ou nombre de leurs alliés. Avant 2001, les Iraniens étaient entourés des talibans en Afghanistan et du pouvoir de Saddam Hussein en Irak, voyant là l'expression de certaines limites à leurs ambitions régionales ; depuis, le vide politique créé par la fin provoquée du règne de ces deux acteurs a permis à Téhéran de développer des canaux qui se sont parfaitement combinés avec les relations privilégiées que le pays entretenait déjà avec le Hezbollah libanais, certains acteurs afghans et irakiens, ou encore le pouvoir syrien. L'Iran est effectivement engagé, via ses tensions avec l'Arabie saoudite, dans une stratégie de concurrence vis-à-vis de plusieurs pays arabes ; cette donne ne pourra qu'augmenter au fil de la rupture sans cesse confirmée de la confiance dans ses relations avec les Etats-Unis et plusieurs de ses alliés régionaux. Néanmoins, déclarer une rupture des relations telle que celle que vient de décider le Maroc ne permettra en rien un changement par l'Iran de ses stratégies régionales, stratégies qu'elle considère et continuera à considérer comme un gage de survie. Au mieux, les évolutions actuelles seront suivies à terme d'un apaisement ; au pire, elles préfigureront les termes d'un nouvel affrontement régional d'ampleur. Il reste à voir si les réponses concrètes à cette question dépendront du 12 mai, jour quand le président américain Donald Trump devrait décider s'il maintiendra ou non l'engagement des Etats-Unis devant les termes de l'accord sur le nucléaire iranien de 2015. Par : Barah Mikaïl Enseignant-chercheur à Madrid, directeur de Stractegia Consulting 2