Le virus du XXIe siècle a un nom : fake news (un anglicisme de fausses informations). Avec la déferlante des réseaux sociaux, aucun pays n'est épargné. L'Algérie commence, d'ailleurs, à en faire l'expérience. L'Algérie ne pouvait pas être épargnée. Les exemples sont nombreux. Le crash de l'avion militaire à Boufarik (Blida), le 11 avril dernier, et les derniers matchs de football (Ligue 1 ou Coupe d'Algérie) sont venus confirmer la prédominance des fausses informations sur la réalité des faits. Les Algériens se sont retrouvés désarmés devant la prolifération des fake news. La manipulation et les appels à la violence étaient omniprésents sur les médias sociaux et l'ampleur des retombées donne déjà une idée sur ce qui peut arriver. Les risques sont énormes. Que ce soit en Algérie ou à l'étranger, cette "tendance" n'est pas nouvelle. Tous les pays subissent les fake news et certains essayent de les contourner tant bien que mal. Tirer la sonnette d'alarme ne suffit pas. Devant les conséquences néfastes (un euphémisme) de la propagation des fausses informations, la riposte devrait être multiple, en impliquant plusieurs "acteurs". Avant cela, connaître le mécanisme avec lequel se propagent ces fake news ne peut qu'aider à mieux cerner le phénomène. Retour sur les "lieux". Ce qui s'est passé avant, pendant et surtout après le match de Coupe entre la JSK et le MCA, disputé le 13 avril dernier à Constantine, a choqué plus d'un. La violence des images relayées par les réseaux sociaux est venue démontrer, encore une fois, que le football national a besoin d'une véritable opération "pieds propres". Au-delà du cadre sportif, de la gestion des clubs et du football algérien, en général, mission qui incombe à la FAF, il s'agit surtout d'analyser l'immense impact de la désinformation sur la société et les dangers que le fléau fait courir au pays. Les fake news les plus invraisemblables ont été propagées sur le web, alimentant ainsi la haine entre les supporters de trois des plus grands clubs algériens : MCA, JSK et CSC. Dès la fin du fameux match de demi-finale de Coupe d'Algérie, les réseaux sociaux, essentiellement Facebook, relayaient une information qui avait choqué plus d'un : des morts sont "signalés" à Constantine suite aux échauffourées entre les supporters. Au fil des minutes et des heures, il y a eu même des précisions données par les internautes (souvent anonymes) : il s'agissait de deux fans du Mouloudia d'Alger. Il n'en était pourtant rien. Le seul mort en relation avec le match était un supporter de la JSK décédé suite à un accident de la circulation, et c'était... avant d'arriver à Constantine. Le bilan officiel est venu infirmer l'avalanche des fake news. Les services de sécurité, dès le 15 avril, ont annoncé 66 blessés, dont... 32 policiers. Le saccage virtuel d'un restaurant La fausse mort des deux supporters n'était pas la seule fake news en relation avec le match. Il y a eu l'"information" publiée sur les réseaux sociaux et relayée, par la suite, avec une légèreté déconcertante, par certains espaces virtuels s'autoproclamant "sites d'information". Elle concerne le saccage d'un restaurant situé à Staouéli (Alger) et dont le propriétaire serait le président de la JSK, Chérif Mellal. Ces sites citaient "des sources très au fait de cette affaire" et publiaient la même photo pour illustrer leur article. L'image montrait des vitres brisées de ce qui était vraisemblablement un commerce. Après vérification, il s'avère que c'était une capture d'écran d'une vidéo de 30 secondes mise en ligne sur une page Facebook intitulée "Albatrone al djazairi DZ". Les images, de très mauvaise qualité, ont été prises la nuit, dans le noir, et ne montraient qu'une vitrine cassée. Rien de plus. Seule la légende, écrite en arabe, liait la vidéo à la fausse information "Regarde le saccage du restaurant du président de la JS Kabylie, Chérif Mellal, situé à Staouéli et qui s'est passé hier soir". De son côté, une chaîne TV privée est allée voir un travailleur du restaurant de Staouéli, se présentant comme le frère du propriétaire. Nulle trace de saccage ou d'attaque. "Il y a eu, certes, des jeunes qui se sont regroupés en face du restaurant, mais rien ne s'est passé", a-t-il déclaré, avant d'ajouter : "Ils ont menacé de brûler le restaurant croyant qu'il appartenait à Mellal. En réalité, ce restaurant n'a aucune relation avec Mellal qui y venait en tant que client et c'était avant qu'il ne soit président de la JSK." Visiblement crispé et ne pouvant cacher sa peur, le jeune homme a insisté pour dire que le registre du commerce de ce restaurant est au nom de son frère et que les locaux appartiennent à sa famille depuis 30 ans. Au final, la majorité n'aura retenu que l'information du saccage puisqu'elle a été partagée intensément. En revanche, les démentis sont passés presque inaperçus. Ce n'est pas la première fois que les internautes algériens se retrouvent confrontés aux fausses informations et aux tentatives de manipulation. Le boycotteur des voitures n'a pas été arrêté Concernant les interpellations "annoncées", celle d'un facebookeur avait fait, au début de ce mois d'avril, un grand tapage. Ainsi, les réseaux sociaux, suivis par quelques sites d'information, avaient relayé l'information selon laquelle l'initiateur du boycott anti-voitures montées en Algérie aurait été interpellé par les services de sécurité. Le buzz, surtout "facebookien", était au rendez-vous. Finalement, ce n'était qu'une fake news. Le démenti est parvenu du concerné lui-même. Tout est parti d'un article publié le 6 avril dernier dans les colonnes d'un journal arabophone algérien. Il y est écrit que l'initiateur de la campagne de boycott des véhicules montés en Algérie venait d'être interpellé par les services de sécurité dans la ville de Naâma. Une ville dans laquelle il poursuivait ses études à l'UFC (Université de la formation continue). La même source ajoutait qu'il avait 27 ans, que ses initiales étaient B. B. M., et que le boycotteur de voiture avait... une moto. L'information a fait le tour des réseaux sociaux et même des rédactions. Et finalement, c'était une fausse information. Le concerné lui-même a démenti. Pour cela, il suffisait juste d'aller sur sa page Facebook "mouwatine salah wa mawhoube" (citoyen bon et talentueux), suivie par plus de 530 000 fans, pour le vérifier. "On ne m'a pas interpellé, et on ne va pas m'interpeller, et d'ailleurs je ne suis pas d'El-Bayadh", a posté celui qui est présenté en tant qu'initiateur du boycott. Il donnera même quelques détails sur lui. Ses initiales seraient H. Dj., et qu'il a plus de 30 ans, tout en ajoutant qu'il n'a pas de... moto. D'autres histoires sur des fake news made in Algeria ont envenimé le pays. En août 2017, il était question d'une "Opération bikini" regroupant 3 000 jeunes filles à Annaba. Il s'était avéré que finalement, ce n'était qu'un fantasme d'été. Où encore celle des faux décès annoncés de plusieurs personnalités, à l'instar de ce qu'a subi Djamila Bouhired. Face à cette déferlante du faux, une concertation impliquant toute la société doit être mise en œuvre. Il y va de la... stabilité du pays. Salim KOUDIL
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