"Il suffit juste d'être un peu rêveur", tel est le mot de la fin de ce roman dont le plus gros de l'histoire se déroule dans un rêve. Un roman qui se voudrait drôle et ubuesque, et il l'est sûrement à plus d'un titre, et beaucoup de ses passages le montrent bien, mais il est aussi nostalgie et complainte. La nostalgie d'une époque où la nature et sa beauté avaient droit de cité et primaient sur tout le reste, et une complainte face à un monde qui voit les apparences et le snobisme prendre le dessus sur les valeurs et les qualités humaines. Les fonds de scène de ce roman se passent à Oran, et ses personnages s'y déploient et s'y déplacent aisément, accompagnés de minutieuses descriptions, avec en prime, des noms de quartiers, de bistrots, d'hôtels et autres lieux, une belle plage surtout, réels ou imaginaires. Car c'est la réalité du quotidien qui y est, en gros, racontée, mais une réalité que le personnage principal, Ali, le bouquiniste en l'occurrence, veut occulter, fuir, bannir, pour ne vivre que dans l'imaginaire ou plutôt dans un beau rêve dont il ne veut, surtout pas, se réveiller. Pour vivre ce rêve – où le rêve est permis — il a tout le temps hâte de dormir pour se réfugier dans les bras de sa dulcinée. Sa nymphette Najwa, fille de Morphée, qui l'a ensorcelé au point de perturber puis d'anéantir sa vie de couple. Un couple qui s'est pourtant choisi et aimé. Mais à y réfléchir, ont-ils eu vraiment le choix ? Se sont-ils réellement aimés ? N'ont-ils pas plutôt voulu faire comme tout le monde et suivre les règles de cette société qui veut tout leur dicter ? Peut-on vraiment parler d'amour quand tout est calculé au jour près ? Peut-on réellement vivre ensemble quand les petites affinités ne sont pas les mêmes ? Un couple peut-il perdurer quand l'autre préfère les grands fracas aux petites choses simples de la vie ? Et c'est de cela et de beaucoup d'autres choses que traite ce roman écrit pour mettre le doigt sur des maux de la société, des constats alarmants, mais que nous avons tendance à négliger, happés que nous sommes par la rapidité de la vie. Un écrit parfois poétique avec un langage soutenu et des expressions en bon français qui vous font rêver, et qui, brusquement, se voit remplacé par des termes crus et un langage de rue qui vous fait sortir du rêve et tomber brutalement dans cette réalité que vous, aussi, avez tenté de fuir pour galoper avec la nymphette sur ce beau sable fin ou vous allonger près d'elle sous un beau ciel étoilé. Ce texte, parfois philosophique, parfois terre à terre, du jeune journaliste et auteur natif d'Oran Akram el-Kébir, pourrait paraître, sous certains angles, manquer quelque peu de maturité et de profondeur, mais cela ne l'empêchera pas de servir de support à d'éventuelles planches scéniques et théâtrales, au grand plaisir des spectateurs, qui verraient déambuler Ali, Nadya, Farid, Malika, Najwa et tous les autres personnages imaginés par ce grand... rêveur. Samira Bendris-Oulebsir Au secours Morphée d'Akram el-Kebir, Editions Apic, Avril 2018, 700 DA.