Le Soir d�Alg�rie : C'est la premi�re fois que vous publiez un ouvrage d'histoires courtes. Nouvelles, r�cits, textes plus ou moins brefs... Est-ce une fa�on de souffler pour vous ou un changement de respiration litt�raire ? Noureddine Sa�di : Oui, effectivement apr�s des romans, des ouvrages sur des peintres, j�ai d�sir� collationner dans cet opuscule des textes qui ne rel�vent pas d�un genre litt�raire tel que classiquement entendu, c�est un livre �clat�. Ce sont, parfois, des �crits d�j� publi�s dans des revues, d�autres in�dits, mais dans une unit� des th�mes, des figures qui font �cho au travail romanesque ; on peut retrouver des personnages de mes romans, de La Maison de lumi�re ou de La Nuit des origines, des situations ou des obsessions, des lieux retrouv�s ou anticip�s ici et qui ont ensuite servi de d�cor, en quelque sorte, aux travaux plus longs. Non pas tant pour souffler, car je suis, comme on dit, sur un roman et qui me r�siste ! mais plut�t comme des rep�res, des balises de mon parcours. Certains sont des fulgurations, des r�ves, des souvenirs r�invent�s, sortes de flash-back, d�autres plus �labor�s, compos�s, plus achev�s comme le sont les nouvelles ou alors des bris de vie cach�s ou oubli�s, venus l� sous la plume, et je me suis aper�u en les reliant ensemble, qu�ils font sens, ils rendent compte de mon univers litt�raire. C�est le projet de l�ouvrage, mais je ne sais s�il sera re�u ainsi, on est si peu ma�tre des lectures ! On pourrait, du reste, comparer ces textes � la d�marche des peintres qui, � c�t� des tableaux, ont toujours besoin de dessins, d�esquisses, de se confronter � la gravure ou m�me au travail de l��b�niste qui garde ses copeaux, ses morceaux, les traces, les croquis de ses meubles. C�est immanquablement une autre respiration litt�raire, un autre rapport au texte. Il y a en chacun de nous, je crois, une sorte de Petit Poucet qui aime bien retrouver ses petits cailloux diss�min�s �� et l�� Il n'y a pas d'os dans la langue est un enseignement de votre p�re. Quelles le�ons pratiques peut-on en tirer en litt�rature notamment pour des �crivains qui chevauchent plusieurs langues conflictuelles entre elles ? Un enseignement, c�est beaucoup dire, c�est un proverbe, tr�s commun d�ailleurs � plusieurs cultures, que j� ai entendu dans la bouche de mon p�re et qui m� est rest�, c� est �a qui m�a int�ress�, c�est l��cho que cela a laiss� en moi et qui est revenu dans ma fa�on de vivre entre les langues. Et puis, je voulais faire signe � mon p�re disparu par ce titre et la d�dicace� Je ne pense pas qu� il y aurait des le�ons pratiques, comme vous le dites, communes � ces situations de chevauchement entre les langues. Les exp�riences sont fort diverses et, de plus, sont v�cues tr�s diff�remment selon les �crivains, les contextes, etc. Tant de choses ont �t� dites sur cette question ! J�ai m�me entendu Maryse Cond� s��crier : �Je n��cris ni en fran�ais, ni en cr�ole, j��cris en Maryse Cond� ! Qu�y a-t-il, en effet, de commun entre Beckett, Cioran, Huston, Cioran� ou Kateb Yacine ? Je ne me sens pas dans une situation d�ali�nation linguistique, ni dans un quelque conflit, en �crivant en fran�ais, cela fait partie de mon histoire et c�est ainsi� Pas d�os ! Transfuge, immigr�, nomade ou exil� de ma langue maternelle ? Ce n�est pas mon probl�me quand j� �cris. Je le fais en fran�ais, la langue qui fait corps en moi, � partir de mon propre imaginaire, de mes r�f�rents et de mon enfance dans la langue et la culture natale qui m�ont berc�, mais je ne me sens enr�l� sous aucune banni�re de quelque francophonie litt�raire, d�finition qui rel�ve plus de l�institutionnel, de la g�opolitique que de la litt�rature. Rushdie a �voqu� une situation d�homme traduit que serait pour lui l��crivain de la mondialisation. Je ne me sens pas dans cette situation et je n�en ai aucune pr�tention. Je pense, plus modestement, que l��crivain participe d�abord de l�univers imaginaire et symbolique qui l�a fait, de son enfance. C�est en cela qu� il est du monde. Ce n�est pas la langue qui fait l� �crivain, c� est le rapport � la langue, son langage propre. On �crit toujours contre une langue, comme un forgeron qui mart�le sous la plume, qui forge son style, sa propre respiration, pour utiliser votre mot de tout � l�heure. L��criture est un acte tellement solitaire, n�cessaire, un univers mental qui vous apprend � fuir la vanit�. Un texte tr�s fort dans ce recueil, c'est Retour � Constantine. Comment �tes-vous arriv� � surmonter la description de Constantine par Kateb Yacine dans Nedjma pour nous donner votre propre sentiment par rapport � votre ville natale ? Constantine est, en effet, une ville tellement �crite� depuis l�Antiquit� ! Flaubert, Maupassant, Gide et tous les �crivains-voyageurs, les orientalistes, ont dit leur saisissement devant ce site si gigantesque, en en faisant une ville exotique. Plus tard, elle sera un des lieux de naissance de la litt�rature alg�rienne, je pense � Malek Haddad, � Reda Houhou, plus tard � Boudjedra� de tr�s belles pages ! Mais Constantine restera toujours, dans nos imaginaires, associ�e � Nedjma, � ces descriptions fantastiques, hallucin�es, � ces visions de Kateb. Et, effectivement, comme je l�ai dit dans un d�bat public, je suis rest� longtemps coi, saisi, dans l� impossibilit� d��crire sur ma ville natale. D�ailleurs, je vous fais la confidence, je voulais situer mon premier roman � Constantine, et cela me bloquait tellement que j�ai d� inventer une ville de ponts et qui est bord�e par la mer� un imaginaire m�lant ma ville natale et Alger de ma jeunesse ! Ce texte a la force du retour � l�enfance et ma relation � la ville n�a plus rien de r�el. Elle est faite de m�moire fan�e. Je ne retrouve que peu les lieux, le visage de ma ville, et lorsque j�y retourne, comme dans ce texte, ce sont mes fant�mes qui ressurgissent, c�est dans un lieu intemporel, surcharg� par l�histoire, tout ce que j� ai lu sur la ville, rendu fantastique par le Rocher, les pr�cipices, les ponts, les paysages aux contours et aux couleurs estomp�es, le ravin et le grondement du Rhummel� C�est Nazim Hikmet qui disait, pardon je cite de m�moire : �Il y a deux choses dont on se souvient � la mort, c�est le visage de sa m�re et le visage de sa ville.� Une phrase qui ne s� oublie pas. Ces textes font voyager : Beyrouth, Tanger, Tunis, Alger, Constantine, etc. Ils font voyager dans le temps aussi... Un carnet de voyages sophistiqu�, d'une certaine mani�re, o� le voyageur se r�v�le plus que dans un roman ? Je pense que chacun d�entre nous devrait avoir plusieurs vies, et je consacrerais enti�rement l�une � voyager. J�adore partir, cela vient de loin, et surtout visiter ou vivre dans des villes charg�es, comme celles �voqu�es dans ces textes, ou d�autres, je pense � Istanbul, Le Caire, � New York, au March� aux Puces� J�adore les lieux d��criture qui m�lent les fantasmes et le r�el, et, effectivement, je vais entamer bient�t un �Carnet de route� pour retrouver ces visages, ces paysages, qui me marquent. � Le bleu lointain des cieux de l�- bas� Cela fait une quinzaine d'ann�es que votre travail litt�raire a acquis une visibilit�. Si vous deviez en tirer les premiers enseignements, quels seraient-ils ? Ah ! les bilans ! les le�ons sur soi ! Je m� en m�fie beaucoup� Quoi en dire ? Je ne relis gu�re mes livres, une fois publi�s, car cela m�ennuierait et me les ferait d�tester, je crois� Une visibilit�, oui peut-�tre, certains livres remarqu�s par de petits prix d�estime, des rencontres, des moments de bonheur par le courrier de lecteurs, un int�r�t parfois de la critique, des travaux intelligents par des universitaires qui vous apprennent sur vos propres textes, un relatif lectorat fid�le, bien que modeste. La litt�rature �tait d�j� une passion de jeunesse, en tant que lecteur, et je suis pass� � l�acte, pour ainsi dire � la faveur de bifurcations de vie ; j� ai �crit et publi� assez tard finalement et cela marque beaucoup ma relation, m�a donn� de la distance par rapport au mythe de l��crivain, et d� ailleurs, je ne me sens pas �crivain professionnel, je suis prof, absorb� par mes t�ches d�enseignement et de recherche, par mes publications universitaires et je ne me l�ve pas syst�matiquement chaque matin pour �crire, c�est plut�t de l�ordre de la n�cessit� int�rieure, de la passion. Une histoire na�t en moi, souvent � mon insu, comme dans un r�ve, et peu � peu commence le harassant et tellement exaltant travail, qui est pour moi le meilleur moment de l�activit� d��crivain. En �crivant, on ne fait pas qu� �crire, on r�ve, on se prom�ne dans le monde et � l�int�rieur de soi, on imagine, on se perd, on rature, on gribouille des pages et des pages que l�on d�chire ou que l�on garde et c�est tout ce processus solitaire, silencieux, jubilatoire ou parfois douloureux, cette plong�e dans un monde inconnu, avant d��tre mis en mots, en phrases qui, pour moi, est une qu�te essentielle. Quel bonheur que la fiction, que de d�couvrir des personnages naissant sous les doigts ! Bien s�r, j�ai de la chance d��tre publi�, quand on sait que des milliers de manuscrits sont, chaque ann�e, refus�s malgr�, parfois, le talent des auteurs, je suis content de l��tre � la fois en France et dans mon pays, de commencer � �tre traduit, mais je crois que m�me si, � Dieu ne plaise, je n�avais plus d��diteur, je continuerais � �crire, �a fait partie de ma respiration. Le reste ne m�appartient plus, le lectorat, la r�ception d�un livre, c�est tellement compliqu�, il peut se faire qu�on ne soit pas dans un horizon d�attente, dans une mode ou un code, l�essentiel est de garder son sillon, sa sinc�rit�, et de poursuivre� Propos recueillis par Bachir Aggour Une biobibliographie Nourredine Sa�di est n� et a grandi � Constantine. Il part faire ses �tudes � Alger o� il devient professeur de droit. Il quitte l'Alg�rie pour la France et s'installe � Douai, o� il enseigne � l'Universit� d'Artois. Cet universitaire et �crivain est l'auteur de plusieurs romans, de nombreux textes et articles. Nourredine Sa�di a �crit - des romans : Dieu-le-fit- Albin Michel, 1996 � En Wallachye, pays imaginaire qui ressemble �trangement � l'Alg�rie, les autorit�s ont d�cid� l'assainissement de la Ville et la destruction du bidonville �Dieu-le-fit�. Commence alors le lent exode de ses habitants... Un roman couronn� par le prix Kateb Yacine en 1996. La maison de lumi�re- Albin Michel, 2000. - 316 p. Toute l'histoire de l'Alg�rie moderne, de l'Empire ottoman � nos jours � travers le destin d'une maison mauresque, Miramar, construite en palais d'�t� pour le vizir du dey d'Alger et racont�e par Marabout, le descendant des premiers ouvriers venus de leurs montagnes de Kabylie pour vendre leur force de travail. La nuit des origines - Ed de l'Aube, 2005.- 204 p. - (Regards crois�s) Abla B., venue aux puces de Saint-Ouen en qu�te d�un acqu�reur pour un vieux manuscrit donn� par son grand-p�re, entre par hasard dans une boutique et y d�couvre un lit � baldaquin identique au sien, laiss� � Constantine. Des histoires crois�es se tissent alors, sur fond d�amour impossible. - des essais dont : Norme sexualit� reproduction / Nadir Marouf, Nourredine Sa�di. - L�harmattan, 1996. - 216 p. Cet ouvrage, r�unissant psychanalystes, anthropologues et juristes, se propose d�entamer une premi�re r�flexion partant de cette question : quel rapport y a-t-il entre le pouvoir de produire des normes (lois et Etats) et l'ordre du vivant pour le sujet ? Ancien membre de l'association des amis du Mus�e des Beaux-Arts d'Alger, il a publi� deux monographies d'artistes alg�riens : Kora�chi, portrait de l�artiste � deux voix / Nourredine Sa�di, Jean-Louis Pradel. - Actes Sud, 1999. - 237 p. Peintre et plasticien, Rachid Kora�chi, n� en 1947 en Alg�rie, vivant en Tunisie, d�voile dans un long et intime entretien avec le critique d�art et �crivain Nourredine Sa�di, les sensations plus que les �v�nements qui ont fa�onn� l�homme et nourri l�imaginaire de l�artiste. Denis Martinez, la dignit� en peinture / Nourredine Sa�di. � Barzakh : Le Bec en l'air, 2003. - 134 p. Pr�sente la vie et l��uvre du peintre Denis Martinez qui a particip� au d�veloppement de l�art alg�rien. Il a �t� l�un des fondateurs en 1967 du groupe Aouchem, qui voyait dans les inscriptions pr�historiques, les peintures murales kabyles ou la miniature ottomane les origines de l�art en Alg�rie� SIGNET Lieux et liens Nourredine Sa�di est une figure de la vie intellectuelle et culturelle alg�rienne depuis de nombreuses ann�es. Exil� � partir de 1993, il s'est trouv� une nouvelle patrie : la litt�rature. Apr�s trois romans qui se sont distingu�s parmi les parutions contemporaines par leur originalit� et surtout par leur aboutissement cultiv�, des romans qui tirent vers le haut, Nourredine Sa�di publie un recueil de textes courts entre fiction et r�alit�, une sorte de short stories dont les personnages composent comme un kal�idoscope des exils. Histoires du pr�sent marqu�es par l'exil territorial et par tout ce � quoi le d�racinement renvoie comme introspection. Histoires du pass� qui r�v�lent les liens et les lieux de l'enracinement mais aussi les impasses, parfois paradoxalement f�condes, de l'exil int�rieur. Dans ces textes qui parcourent des fragments de vie entrelac�s � la fiction, Nourredine Sa�di se livre personnellement plus que dans ses romans. Des textes forts comme Retour � Constantine ou La demeure du p�re r�sument cette pens�e sous forme de balancier entre l'ici et l'ailleurs, le lieu de l'origine et celui o� l'on �choue. Sobre, pudique, l'auteur �vite de sombrer dans la nostalgie, tentation et philosophie. Au contraire, avec un sens du r�el puis� dans la grande litt�rature, Nourredine Sa�di plante une atmosph�re de d�parts et de non-arriv�es sans sombrer dans la dictature de l'�motion. C'est ce qui fait la force de ce texte. Bachir Aggour La langue n'a pas d'os, Nourredine Sa�di, �ditions de l'Aube, 2008.