Il y a d'abord l'aspect positif des choses. Quatre personnalités politiques libyennes pas vraiment en accord entre elles ont accepté de se réunir à Paris, et de poser par la même occasion ensemble devant les caméras. Le tout en apposant leurs noms sur une déclaration relative à l'avenir du pays, et en signifiant leur engagement à agir pour le meilleur. Il y a, par extension, une volonté assez manifeste de la part d'un grand nombre d'acteurs régionaux et internationaux de faire avancer les choses en Libye. Outre les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, la participation à la Conférence internationale de Paris sur la Libye de hauts représentants de l'Union européenne, de l'Union africaine, mais aussi de la Tunisie, de l'Algérie, du Maroc, de l'Italie ou encore de l'Allemagne sont la preuve que ce n'est plus l'avenir, mais le présent de la Libye qui inquiète. Et ce depuis un bon moment. Il est ainsi grand temps de fermer la page de la tragédie libyenne, semblent-ils se dire. On pourra d'ailleurs ajouter à ces nouvelles encourageantes le fait que le texte issu de la réunion de Paris du 29 mai met en perspective l'engagement du Premier ministre Fayez Sarraj, du chef de l'Armée nationale libyenne (ANL) Khalifa Haftar, du président du Haut Conseil d'Etat Khaled Mechri, et du président de la Chambre des représentants Aguila Saleh, à faire tout leur possible pour appuyer les efforts de l'ONU en vue de "l'élaboration d'une base constitutionnelle pour les élections" et de "l'organisation d'élections législatives ainsi que présidentielle" d'ici au 10 décembre 2018. Tout leur possible ? Voire. Dès le préambule, les représentants libyens précisent qu'ils s'engagent à "œuvrer de manière constructive avec les Nations unies en vue d'organiser dès que faire se pourra des élections dignes de foi et pacifiques, et à en respecter les résultats lorsqu'elles auront eu lieu". Dans un monde rationnel et où le mot "engagement" a un sens, ces mots pourraient presque passer pour une profession de foi. Mais nous parlons là du Maghreb ; et nous nous trouvons de surcroît face à un pays dans lequel les velléités de pouvoir le disputent à l'attachement au bien du pays, dans un contexte dans lequel ni la main de fer du défunt Mouammar Kadhafi, ni l'approche de son prédécesseur, le roi Idriss 1er, n'avaient pu aller jusqu'à pouvoir cimenter la notion d'affiliation nationale libyenne. C'est d'ailleurs paradoxalement depuis la chute de Mouammar Kadhafi que l'on a pu voir la population libyenne clamer franchement son attachement à la défense de la notion de nation ; mais les conditions pour y arriver requièrent, parmi d'autres, moins de divisions politiques, et plus de représentation populaire. Il n'est de secret pour personne que le peuple libyen est hétéroclite ; mais de même, ses représentants "attitrés" présents à Paris n'en représentent qu'une fraction. On ne saurait oublier que la Libye inclut maintes régions du sud, de l'ouest, livrées à ce jour à affrontements et chaos, et sur lesquels aucun membre du quatuor institutionnel libyen n'a de prise. Le rejet par plusieurs personnalités – dont celles de la ville-clé de Misrata – de la réunion de Paris en est un indicateur fort. Il va tout autant de soi que l'ONU et les organisations travaillant de concert avec elle essayent depuis des années de forger un consensus chez la fameuse "société civile" (ensemble aux contours bien complexes), mais sans succès jusqu'ici. Comment dès lors croire qu'une simple déclaration de principe de la part de politiques en désaccord sur tout – même sur les bases d'organisation de ces élections à venir – pourrait engager jusqu'à des acteurs locaux réfractaires qui combinent armes, influence, richesse et ambitions diverses ? La réunion de Paris répond peut-être à de bonnes intentions, mais elle passe à côté de l'essentiel : le fait que les Libyens nécessitent de meilleures conditions sécuritaires et économiques avant que de croire aux vertus d'un processus constitutionnel et électoral. En essayant de se projeter six mois en avant, on a du mal à croire que les protagonistes de la scène libyenne penseront "Déclaration politique sur la Libye" avant que de penser "Pouvoir propre". La déclaration de Paris peut paraître rassurante, mais on peut légitimement penser qu'elle n'est qu'une simple déclaration. Et qu'elle reste faible par rapport aux attentes et aux besoins réels des Libyens. Par : Barah Mikaïl Barah Mikaïl, enseignant-chercheur à Madrid et directeur de Stractegia.