Les réunions du Conseil européen font rarement la une des médias. Le grand public a pris l'habitude de les assimiler à des sommets soporifiques, teintés de déclarations qui ne suffisent pas à compenser le manque d'intérêt que suscitent en général les affaires de l'union. Il est pourtant des exceptions. Ainsi celle de la réunion de ces 28 et 29 juin, placée sous le signe de sérieuses pierres d'achoppement entre membres de l'Union européenne. Si l'agenda prévoit d'aborder des questions de sécurité et de défense, de politique commerciale, de croissance ou encore d'innovation et de numérique, les Vingt-Huit sont aussi attendus sur l'un des motifs de crise les plus sévères de ces dernières années : la réponse à apporter au "défi migratoire". Les Européens n'en sont pas à leur coup d'essai sur cette question. Tout au long de ces dernières années, plusieurs drames retentissants, caractérisés notamment par les naufrages d'embarcations surchargées et la disparition à plusieurs occasions de centaines de migrants dans les eaux de la mare nostrum, ont pu les rappeler au devoir d'agir. Mais derrière la nécessaire action se cache la réticence de beaucoup de pays à ouvrir leurs portes à l'installation durable d'étrangers sur leur sol. Seule l'Allemagne semblait réellement avoir compris l'intérêt qu'il y aurait pour elle, et pour l'UE, de faire de la rescousse à ces populations le symbole d'une défense par les Européens des valeurs auxquelles ils se disent attachés. Le tout combiné à sa prise de conscience du fait de son déclin démographique, le Vieux continent aurait tout à gagner d'une canalisation des talents et de la motivation détenus par ces demandeurs de dignité. C'était avant que Berlin ne se voit débordé à la fois par l'ampleur de ces mouvements, et par une radicalisation de son spectre politique. Aujourd'hui, l'accentuation des radicalismes politiques telle qu'exprimée en Italie, combinée à l'attitude réfractaire de maints pays – dont le groupe de Visegrad n'a pas le monopole – à promouvoir des politiques humanitaires plus dignes, accentue l'effet de crise à échelle européenne. Mais on aurait tort de faire porter la responsabilité de l'échec des dispositions européennes en matière de politiques migratoires aux seuls pays de l'Europe centrale et orientale, à l'Italie ou encore à l'Autriche ; la France, l'Espagne ou même la Belgique n'ont pas vraiment été volontaristes en la matière. L'échec – ou le refus – de la majorité des pays membres de l'Union européenne à respecter leurs engagements en matière de quotas de répartition des réfugiés sur leurs territoires en est l'un des signes probants. Le deal signé en 2016 en la matière entre l'UE et la Turquie est l'un des signes de cette quête d'une conscience soulagée, à travers des méthodes mal placées. Les seize pays – dont l'Italie – qui ont participé aux réunions préparatoires du Conseil européen de ce week-end se veulent rassurants sur le contenu de leurs échanges. Pour autant, semble se profiler un nouvel enlisement des dispositions relatives aux questions migratoires. D'aucuns s'acharneront à vouloir parquer les migrants dans des "hotspots" situés de préférence à l'extérieur de l'UE, les autres prônant une combinaison entre dissuasion en amont et filtrage selon les profils des demandeurs. Les termes du débat sont pourtant clairs : si l'UE a effectivement des limites en termes de capacité d'accueil, cela ne l'empêche pas de s'interroger sur le moteur de ces migrations. Les principales nationalités des demandeurs d'asile telles que recensées ces trois dernières années sont sans équivoque : Syriens, Afghans, Irakiens et Nigérians chapeautent la liste de demandeurs d'asile. Soit des ressortissants de pays connaissant des situations de guerre et/ou des conditions socioéconomiques effroyables. En 1995, l'UE, confrontée à des défis en partie similaires, avait répondu par le lancement du Processus de Barcelone : échec retentissant. La base de ce dispositif n'était pourtant pas mauvaise ; il lui manquait juste une mise en application sérieuse et conforme (la fameuse "conditionnalité"). Malheureusement, le sommet de ce week-end ne sera pas la réunion de l'autocritique. Voguera ainsi toujours la crise de la dignité, et avec elle suivront les naufrages au sens propre comme au sens figuré. Par : Barah MIKAIL Enseignant-chercheur à Madrid et directeur de Stractegia Consulting