"Plutôt que d'accélérer les réformes afin de permettre aux banques de jouer pleinement leur rôle, d'investir dans le marché financier, d'adapter les produits et de proposer des services à même de pouvoir capter les ressources, l'Etat opte pour la solution de facilité qui consiste à injecter des liquidités, à rembourser les dettes et à solder les comptes en monnaie de singe", estime Omar Berkouk, analyste financier, qui met en garde contre "cette aventure du financement non conventionnel". Le secteur bancaire fait face désormais à d'importants enjeux, à l'heure où le gouvernail semble être résolument tourné vers le financement non conventionnel. L'Etat a choisi la solution de facilité, plutôt que d'accélérer les réformes bancaires et financières. D'abord perçue comme un outil indispensable pour payer les salaires des fonctionnaires, la planche à billets sert désormais de couverture financière à l'ensemble des besoins : solder les comptes de certaines entreprises publiques avec le Trésor, financer les projets d'équipement, dont l'habitat, renflouer les comptes de la Caisse nationale des retraites (CNR), rembourser les souscripteurs à l'emprunt obligataire lancé en 2016, rehausser le niveau des liquidités bancaires et sauver, par la même, certaines banques de la faillite, etc. C'est comme lorsque l'on découvre des vertus cachées à une chimiothérapie que l'on prescrit à un cancer qui métastase. Les économistes jugent que cette mesure risquerait, au contraire, de mener le pays vers la banqueroute. "Cette politique est une bouffée d'oxygène pour l'Etat et pour les opérateurs économiques à court terme, mais elle risque de dérégler tout le système à moyen terme si une stratégie de sortie n'est pas mise en œuvre. C'est un retour aux vieilles antiennes de l'économie administrée des années 1970-1980 qui, à l'époque, avait conduit l'Algérie tout droit à la banqueroute", met en garde Alexandre Kateb, économiste, spécialiste en stratégie, contacté par Liberté. "C'est une politique qui exonère les responsables de leurs responsabilités, en leur donnant l'illusion qu'il n'y a aucune contrainte budgétaire ou financière. Mais cette myopie financière finit par être payée cash", pense-t-il. Nombreux sont ceux qui considèrent que la planche à billets est par-dessus tout une machine à détruire des réformes. Le cas des banques est le plus édifiant. "Plutôt que d'accélérer les réformes afin de permettre aux banques de jouer pleinement leur rôle, d'investir dans le marché financier, d'adapter les produits et de proposer des services à même de pouvoir capter les ressources, l'Etat opte pour la solution de facilité qui consiste à injecter des liquidités, à rembourser les dettes et à solder les comptes en monnaie de singe", estime Omar Berkouk, analyste financier, qui met en garde contre "cette aventure du financement non conventionnel". Tarissement des liquidités : l'expression d'un malaise D'aucuns pensent qu'il s'agit là d'une solution de longue durée. L'absence d'un palliatif à moyen terme ne fait que complexifier davantage l'équation budgétaire. L'enjeu n'est pas des moindres. Pour l'heure, le gouvernement a choisi de rester flou sur les décisions à prendre sur le moyen terme. La situation au niveau des banques est révélatrice, en tout cas, d'un marasme profond auquel aucun traitement symptomatique ne pourrait remédier. Le statut de "banques bien capitalisées", attribué par les experts du FMI, a cédé la place dès 2016 à une situation de "tarissement des réserves excédentaires des banques auprès de la banque centrale", écrivaient les experts de Washington dans leur dernier rapport sur l'économie algérienne. En 2016 déjà, des banques publiques ont été recapitalisées et/ou renflouées par le moyen du réescompte. Ce dispositif a cédé le terrain aux opérations de l'Open Market avant que la planche à billets ne vienne renflouer d'autres banques, dont la BNA, à hauteur de 545 milliards de dinars. "C'est une banque dont le portefeuille-clients est garni essentiellement par trois grandes entreprises publiques", nous confie le P-DG d'une banque. Cependant, le resserrement des liquidités bancaires n'est que l'expression d'un malaise beaucoup plus profond, s'accordent à dire des intervenants de la place bancaire. Le marché est dominé à 85% par des banques publiques figées. "Il y a un vrai problème de gouvernance qui se traduit par les injonctions du politique dans le travail des banquiers et l'omniprésence des représentants de l'Etat dans les conseils d'administration. Le travail de réforme doit commencer par cet aspect. Il est impératif, par la suite, de moderniser les systèmes d'information, même si, sur ce plan, des choses se font çà et là. Il faut le reconnaître", estime notre interlocuteur. Pour Omar Berkouk, économiste et analyste financier, "il était temps de conforter la gouvernance des banques, d'injecter plus de compétences techniques, de les doter de départements financiers plutôt que de gérer simplement les métiers traditionnels d'une banque". Pour lui, les temps courent et des banques aussi obsolètes ne pourraient relever les défis de sortie de crise. Soutenir les attentes de l'Etat propriétaire ou financer l'économie et le déficit, c'est le dilemme cornélien des banques publiques du temps du financement non conventionnel. Des réformes clés doivent être reprises dans les meilleurs délais, dont la modernisation des systèmes financiers par le levier technologique afin d'assurer une meilleure transparence et efficacité dans la gestion des ressources financières. Un marché contrôlé par des banques obsolètes Les banques publiques doivent s'investir davantage dans la mobilisation de l'épargne publique à travers, entre autres, la Bourse, l'émission d'obligations, les produits islamiques, les sukuk, etc. "Le financement par emprunt est sain, alors que le financement non conventionnel est malsain et porteur de risques", estime Omar Berkouk. Il y a comme un état de résiliation qui fait que l'on se contente d'appuyer davantage sur le champignon de la planche à billets en attendant que l'orage passe. "En résumé, l'option de la planche à billets a fait sauter toute contrainte budgétaire pour l'Etat, notamment sur le plan de la mobilisation des ressources. L'Etat n'a pas changé de train de vie, comme ce fut l'intention à l'époque du gouvernement Sellal et le financement de l'économie se fait toujours à travers la dépense publique", regrette un haut fonctionnaire de l'administration financière, rencontré à Alger. "Vous vous rendez compte que depuis plusieurs décennies, aucune nouvelle institution financière n'a été mise en place et toute initiative est vouée à l'échec ! On sait très bien que le système financier ne mobilise pas assez les ressources financières, mais on le garde tel quel." Il tentera, néanmoins, une réponse à cette énigme : "Si la structure du marché change (85% détenus par les banques publiques), le système bancaire ne sera plus sous le contrôle de quelques bureaucrates et fonctionnaires qui font la pluie et le beau temps." Mais "c'est aussi à travers les banques publiques que la rente est distribuée", réplique le P-DG d'une banque — contacté par nos soins — à la même question. Tous nos interlocuteurs s'accordent à dire qu'il est temps que le train des réformes quitte la gare. "Le courage c'est de dire qu'il n'y a plus d'argent dans les caisses et de mettre en œuvre les réformes nécessaires, pas de fermer les yeux et de pousser jusqu'à ses limites — et au-delà — un système à bout de souffle", estime Alexandre Kateb. Au plan macroéconomique, les experts de Washington ont souligné récemment que, eu égard aux risques macroéconomiques et aux liens financiers au sein du secteur public, il convient de renforcer le cadre macroprudentiel, notamment en menant plus régulièrement des tests de résistance et en établissant un dispositif de gestion des crises. Ce dont les banques algériennes ont besoin, indépendamment des opérations de renflouement menées par la Banque d'Algérie. Ali Titouche