Dans une correspondance, il a demandé à ses collègues de lui faire parvenir le détail des projets engagés par leur département dans le cadre du plan quinquennal. Fraîchement désigné ministre d'état à la faveur du dernier remaniement ministériel opéré par le président de la République, début mai dernier, Aboudjerra Soltani prend des libertés avec les usages institutionnels. Dans une correspondance adressée à tous les membres du gouvernement — ses collègues en d'autres termes —, le président du MSP leur demande de lui faire parvenir dans les plus brefs délais le détail des projets sectoriels inscrits dans le cadre du programme quinquennal de soutien à la croissance économique 2005-2009. Dans cette missive datée du 22 mai dernier et qui donne l'air d'être une instruction, le ministre d'état les informe que cette démarche entre dans le cadre du suivi des opérations de mise en œuvre de ce vaste plan annoncé par le chef de l'état lors de la conférence des cadres. L'auteur de cette correspondance fait mention en bas de page de l'envoi d'une copie au chef du gouvernement à titre d'information. C'est à son retour du voyage effectué dans certains pays de l'Amérique du Sud que Soltani a décidé d'adresser cet écrit à ses collègues du cabinet de Ahmed Ouyahia. Le chef du parti islamiste a été parmi les ministres qui ont accompagné le président de la République au Brésil, au Chili et au Pérou durant la semaine dernière. Quarante-huit heures après le retour de la délégation présidentielle et le jour même choisi par le chef du gouvernement pour présenter la déclaration de politique générale de son exécutif, le ministre d'état a décidé de faire cette “sortie institutionnelle” pour le moins intrigante. D'abord, par son caractère surprenant et inédit puisque cette pratique n'existe pas dans les “usages républicains”. Ensuite, le contexte dans lequel intervient cette sortie, soit au moment de la présentation du bilan du gouvernement devant le parlement et au moment où son parti, le MSP en l'occurrence, est en proie à une grave crise interne. Les destinataires de cette correspondance sont ainsi mis dans la gêne et ne savent quelle suite réserver à cette “demande express” d'un collègue même si “protocolairement” parlant il se trouve à un rang plus élevé que beaucoup d'entre eux. Ils sont dans l'attente d'un “décodage” de cette démarche de Aboudjerra Soltani qui se place ainsi en “Chef du gouvernement-bis”. Le leader islamiste a-t-il agi seul ou a-t-il été chargé par le président de la République de cette mission d'autant qu'il a été à ses côtés pendant plus de dix jours lors du périple en Amérique du sud ? S'agit-il d'une mission de contrôle et de suivi de l'action du gouvernement ou d'un coup de bluff pour faire taire ses adversaires du parti qui l'accusent de travailler chez un autre chef de parti de l'alliance ? Ce sont autant d'interrogations auxquelles appelle la sortie du ministre d'état, initialement nommé pour assurer l'équilibre dans l'alliance qui soutient le programme du président de la République. La correspondance de Soltani n'a pas encore livré tous ses secrets et suscite d'ores et déjà des lectures où s'alternent sérieux et plaisanterie. Ce qui est, par ailleurs, certain c'est le fait que cette démarche tombe à la veille de la session extraordinaire puis ordinaire du madjliss echoura de son parti, au cours de laquelle sera examinée entre autres, la question de son entrée au gouvernement. Les adversaires de Soltani se sont élevés contre l'acceptation par leur chef d'un poste sans portefeuille dans un gouvernement dirigé par un responsable d'un parti de l'alliance présidentielle. S'agit-il d'un artifice pour désamorcer la crise à laquelle il est confronté au sein du MSP ou d'une ambition démesurée de Soltani ? Il faut attendre les prochains jours pour comprendre le “pourquoi du comment”. Mourad Aït Oufella