Kamel Chikhi a reconnu avoir chargé le fils de l'ex-wali de Relizane de mener les démarches en vue de l'obtention d'un permis de construire pour une tour de 15 étages à Ben Aknoun, en contrepartie de 4 milliards de centimes. Le magistrat instructeur près de la 9e chambre du pôle pénal spécialisé d'Alger mène actuellement les auditions de fond dans l'affaire Kamel Chikhi, celle relative aux relations que le promoteur immobilier et importateur de viande entretenait avec certains fonctionnaires de l'Etat. Ces auditions se poursuivront tout l'été, afin de respecter le délai de quatre mois, prévu par le code de procédure pénale pour boucler l'instruction. Le magistrat a convoqué individuellement le procureur du tribunal de Boudouaou et son adjoint, le fils de l'ex-Premier ministre, Abdelmadjid Tebboune, le chauffeur personnel de l'ex-patron de la Police nationale, Abdelghani Hamel, l'ancien président de l'APC de Ben Aknoun et le fils de l'ancien wali de Relizane. Kamel Chikhi surnommé "le boucher", principal accusé dans l'affaire des 701 kg de cocaïne saisis le 29 mai dernier au port d'Oran, a reconnu, lors de sa première audition, qu'il avait prêté au procureur de Boudouaou et son adjoint respectivement la somme de 80 à 90 millions de centimes pour le premier et 100 millions de centimes pour le second. "Des sommes que les deux magistrats ont remboursées", certifie "le boucher". Il raconte qu'il entretenait des liens d'amitié avec les deux mis en cause depuis cinq ans, lorsqu'ils l'avaient sollicité, pour l'acquisition de deux appartements. "Ils ont visité les logements mais n'ont pas donné suite parce que la banque ne leur a pas accordé le crédit nécessaire. Depuis on est resté en contact", poursuit Kamel Chikhi lors de son interrogatoire. Le procureur de la République de Boudouaou et son adjoint sont, eux aussi, restés sur cette version des faits. Khaled Tebboune a été repéré par les enquêteurs dans le bureau du promoteur immobilier, deux fois lors du visionnage des enregistrements vidéo. "Le boucher" s'en explique en ces termes : il l'aurait rencontré 3 à 4 fois, pensant qu'il pouvait par l'intermédiaire de son père — à l'époque ministre de l'Habitat — l'aider à faire fructifier ses affaires. Kamel Chikhi minimise également l'implication du chauffeur personnel de l'ancien DG de la Sûreté nationale en soutenant qu'il ne lui avait jamais "demandé gratuitement des quotas de viande pour certains responsables ni qu'il le faisait passer par le salon d'honneur de l'aéroport. Il m'évitait seulement quelquefois, les longues files d'attente lors de mes déplacements à l'étranger". Il reconnaît, en revanche, avoir chargé le fils de l'ex-wali de Relizane de mener les démarches en vue de l'obtention d'un permis de construire pour une tour de 15 étages à Ben Aknoun, en contrepartie de 4 milliards de centimes. Le document est effectivement délivré par l'ex-P/APC de cette localité, mais vite annulé par son successeur. Selon des sources proches du dossier, ce dernier aurait envoyé des émissaires à Chikhi pour lui faire miroiter une offre plus alléchante encore : une possibilité de bâtisse de 18 étages. Finalement, il sera, à son tour, placé en détention préventive dans le cadre de l'enquête ouverte suite au décès, au mois d'avril dernier, d'un employé suite à une chute de panneau publicitaire. Les investigations lancées par la justice ont permis de découvrir une entorse à la réglementation dans le marché décroché par l'entreprise d'affichage urbain AD Display. Douze prévenus, fonctionnaires des services de l'urbanisme et des conservations foncières se sont expliqués, également ces jours-ci, sur les liens qu'ils entretenaient avec le magnat de l'immobilier et leur implication dans l'établissement de certains documents en relation avec ses activités de promotion immobilière. Il s'agit des chefs des services de l'urbanisme de Kouba, d'Aïn Benian, de Draria, de Chéraga et d'Hydra, des conservateurs fonciers d'Hussein-Dey et de Bouzaréah, de deux contrôleurs de la conservation foncière d'Hussein Dey, d'un fonctionnaire de la conservation foncière de Bouzaréah et des architectes de la Direction de l'urbanisme d'Alger. Onze d'entre eux sont sous mandat de dépôt depuis fin juin dernier. Le chef de service de l'urbanisme de Kouba est, quant à lui, sous contrôle judiciaire. La justice pense que ces fonctionnaires ont accordé des facilités à Chikhi, en contrepartie de cadeaux en nature et en biens immobiliers. Le juge instructeur se serait basé, dans son interrogatoire, sur les enregistrements vidéo des caméras de surveillance installées dans le bureau de Kamel Chikhi, mais aussi sur une longue liste de conversations téléphoniques. Les prévenus ont reconnu avoir, dans certains cas, écourté la durée des démarches administratives, mais ont tous nié avoir reçu en échange des récompenses. Nissa Hammadi