De juin à début septembre 2018, la police a saisi plus de 6 millions d'euros, dont 2 200 000 euros à la frontière tunisienne et 1 460 000 euros dans les aéroports d'Alger et de Constantine. Les brigades des frontières aériennes au niveau des aéroports algériens, relevant de la Direction de la Police de l'air et des frontières (PAF) sont sur le qui-vive. Les grosses sommes saisies lors des dernières tentatives de transfert illicite de devises ont sonné l'alerte. Une mobilisation d'autant plus accrue que tous les passeurs pris en possession de milliers d'euros voyageaient vers la Turquie, un pays qui traîne la réputation de destination moins contraignante. Selon des sources bien informées, la PAF a revu à la hausse le niveau de vigilance sur le contrôle des voyageurs à destination d'Istanbul. Et il y a de quoi, étant donné l'ampleur du trafic. Selon des données officielles fournies par la Direction générale de la Sûreté nationale (DGSN) et les Douanes algériennes, ce sont plus de 25 millions d'euros qui ont été saisis, durant une courte période, à travers les aéroports d'Algérie sur des passagers à destination de la ville eurasienne. Si, par le passé, les transferts illicites concernaient des sommes allant de 10 000 à 100 000 euros, les prises opérées par la police et les douaniers, depuis janvier 2018, sont beaucoup plus importantes. Les saisies donnent le tournis. Selon nos sources, le dispositif de lutte contre cette infraction a été renforcé depuis le mois de juillet dernier au niveau de tous les aéroports algériens et des frontières terrestres. De juin à début septembre 2018, les policiers ont fait avorter plusieurs tentatives de transfert illégal de devises et ont récupéré plus de 6 millions d'euros, dont 2 200 000 euros à la frontière tunisienne et 1 460 000 euros saisis sur des voyageurs, dont une femme, interceptés dans les aéroports d'Alger et de Constantine. Mais pourquoi ce trafic est-il organisé en direction de la Turquie ? Deux principales raisons sont évoquées : la souplesse de la législation turque qui reste peu regardante sur la provenance de l'argent en possession des passagers ainsi que l'existence d'un marché de devises florissant. La Turquie, étant devenue le marché de l'or pour les bijoutiers algériens, après que les Emiratis eurent imposé des taxes sur leur or et après l'assèchement de la filière jordano-syrienne, avec la guerre en Syrie, la devise européenne a la cote au marché parallèle d'Istanbul. Elle s'échange contre des dinars, mais se vend encore plus cher que chez les cambistes d'Alger. Panique au square Port-Saïd Au square Port-Saïd, les cambistes ont l'info, mais la plupart ne sont pas bavards. Comme ce jeune cambiste qui, sollicité par nos soins au square Port-Saïd pour nous expliquer pourquoi la Turquie était devenue la nouvelle destination de transfert de devises, s'est retiré vers la ruelle attenante au tribunal de Sidi M'hamed, à Alger, pour guetter des clients potentiels. Tout autour, les cinq autres cambistes, que nous avons également sollicités sur le même sujet, déclinaient des petites liasses en euros et tentaient d'attirer les automobilistes, nombreux et curieux de connaître le cours de la monnaie européenne à la bourse parallèle. "Oui, la Turquie est le seul pays qui reste accessible en termes de change et qui n'exige pas des voyageurs de présenter des documents au niveau des aéroports pour justifier la provenance des devises. Même la police de l'aéroport de Dubaï, qui permettait aux commerçants de transférer des devises, est devenue très exigeante en termes de contrôle des devises. On fait du commerce et on rend service aux commerçants et aux voyageurs", témoigne un cambiste, affirmant que "les Algériens ne peuvent pas voyager avec 100 euros. Allez poser la question aux banques algériennes si vous voulez avoir des explications". Contacté par nos soins, un cambiste bien en vue à Alger explique ces transferts astronomiques par le fait que "beaucoup de produits sont interdits à l'importation. Du coup, au lieu que ces devises soient transférées par voie légale, elles sont envoyées par des réseaux de passeurs". Notre interlocuteur révélera que parmi ces passeurs, figurent des femmes. Celles-ci s'occupent beaucoup plus de l'achat de l'or à Istanbul. Généralement, les sommes qu'ils confient aux femmes oscillent entre 10 000 et 20 000 euros. À ce sujet, il convient de rappeler que la Turquie, qui ne surtaxe pas cette activité, s'était affirmée depuis 2017 parmi les principaux pays d'exportation d'or. Les autres passeurs, c'est-à-dire les hommes, s'occupent, quant à eux, de la vente de l'euro au niveau des bureaux de change. Selon les témoignages que nous avons recueillis, l'euro, cédé à Alger à 210 DA, est vendu à 230 DA en Turquie. "La différence engrangée permet aux commerçants de prendre en charge les frais des passeurs, comme le billet d'avion, l'argent de poche, l'hôtellerie et les achats divers", explique encore notre source qui souligne, par ailleurs, que "d'autres sommes transitent par la Tunisie, l'Italie et la Grèce avant d'atterrir chez les commerçants algériens en Turquie. Les sommes saisies sont infinitésimales par rapport aux sommes qui sont quotidiennement transférées par les commerçants qui se sont rabattus sur le cabas". À moins que la Turquie ne devienne un nouveau refuge pour les trafiquants qui provoquent une véritable saignée de devises, les dernières saisies renseignent on ne peut mieux sur la capacité des lobbys d'importateurs à sévir impunément, mais aussi des détenteurs de capitaux qui blanchissent leur argent dans l'immobilier et l'or en Turquie. Farid Belgacem