Une forte délégation de pieds-noirs séjourne depuis mercredi à Mostaganem. 40 ans après l'avoir quittée, ils accomplissent le pèlerinage classique de leur ville natale. Dès l'entrée, Attuil veut tout voir, tout reconnaître. Il se précipite vers le lycée Zerrouki ex-René-Basset fermé ce jour-là (week-end). Mais le concierge se laisse attendrir par la qualité d'ancien élève. Non, rien n'a vraiment changé. Mêmes tableaux noirs usés, mêmes pupitres tailladés, même odeur de craie, de bois ciré, de désinfectant dans les chiottes. Attuil marche dans les rues, tous les sens en éveil ; il retrouve, redécouvre, renifle machinalement ; il remet ses pas dans des itinéraires familiers, boulevard Victor-Hugo, place de la République, la rue des Juifs, la Marine. À chaque coin des lambeaux de souvenirs... effilochés. Sur les murs décrépis les OAS et FLN mal délavés, se narguent en paix, désormais, alors des profondeurs de sa mémoire remonte tout un folklore. Remontent des amitiés disparues, des parfums d'anisette avec la kemia, le soleil et des sardines grillées. Alors Attuil continue à marcher, il déambule. Il rumine des pensées sur l'inévitable “mektoub”. Et soudain l'évidence éclate. Il s'aperçoit que les Arabes sont partout. Partout où “avant”, ils n'y étaient pas, ils se sont installés. La séparation jadis entre Indigènes et Européens a disparu. Ils occupent tranquillement avec naturel, ce qui a été abandonné par ceux qui sont partis. Le territoire, dont Attuil le considérait usage à vie, a changé de propriétaire. Cette fois notre ami est épuisé, il faut absolument parler avec quelqu'un d'avant. “Tu penses à Bensmaïne, marchand d'articles indigènes à qui ton père a rendu quelques services jadis. Où le dénicher ?” Il interroge à droite, à gauche ; le téléphone arabe fonctionne aussitôt. Bensmaïne accourt, le prend dans ses bras. Aujourd'hui c'est un “hadj” notable. Pour tout voir, tout revoir, Attuil loue un taxi à la journée. Il veut le grand jeu, les plages, l'arrière-pays, le vignoble, les coins de campagne, le cimetière juif. Une heure à marcher avant de retrouver les tombes de sa famille. Dans la blancheur du soleil, il déchiffre sur les stèles des noms familiers : Bensoussan, Serfati, Obadia, Smadja, Benhamou, Bensadoun. La tournée des plages est magnifique. Il sent l'odeur des mimosas. Mostaganem n'a jamais été plus belle. Les cicatrices quand elles saignent se referment lentement. DAHANE MOHAMED