“Dans l'avenir, nos rapports vont certainement être modifiés. Il reste cependant que la corruption est une réalité en Algérie. Il faut la prendre à bras-le-corps.” C'est en sa qualité de personnalité agissante au sein de Transparency International — ONG spécialisée dans la lutte contre la corruption — que eva Joly a exprimé son opinion sur l'ampleur de cette pratique chez nous. Intervenue, hier, à l'hôtel El-Djazaïr au cours d'une conférence devant les cadres du ministère de la Solidarité nationale, des représentants de la société civile et des journalistes, la magistrate franco-norvégienne a expliqué que l'Algérie est demeurée longtemps en violation de la législation internationale. Cependant, dans la catégorie des Etats contrevenants, notre pays est loin de constituer un cas unique. Des Etats développés comme la France ont érigé la corruption en règle de rentabilité commerciale.. Si la loi est l'arme de Mme Joly dans la traque des corrompus et de leurs bienfaiteurs, son objectif consiste à protéger les populations vulnérables des appétits lucratifs de leurs gouvernants. “En Europe, les société cotées payaient les dirigeants des pays pauvres pour avoir de marchés favorables. C'est une forme de colonisation méprisable et immorale”, explique la magistrate. Face à ce pillage, elle préconise “une tolérance zéro”. Cette exhortation s'adresse aux Algériens aussi. À ce propos, si, d'après la juge, le paraphe par notre pays de la Convention internationale de la lutte contre la corruption (elle est signée par 130 pays en attendant sa ratification par 30 autres) constitue “tout un symbole”, sa matérialisation requiert un investissement clair. Au Lesotho, des Canadiens, des Allemands et des Français ont été condamnés pour avoir corrompu des responsables locaux en vue d'obtenir la construction de grands barrages. Chez nous, ce genre de procès relève encore de l'utopie tant la lutte contre la corruption est à ses balbutiements. Sur le plan législatif, la justice algérienne vient de se doter de deux textes, l'un sur la corruption et l'autre sur le blanchiment d'argent. Toutefois, de l'avis de Mme Joly, l'efficacité d'un tel arsenal ne doit pas s'arrêter à la mobilisation des services de police, mais requiert l'implication des organismes financiers. La création en Algérie d'une Unité de renseignements financiers (URF) relevant du ministère de tutelle est encourageante, estime la juge. Cependant, son personnel ainsi que les commissaires aux comptes doivent être armés suffisamment pour confondre les coupables et être vigilants en permanence. Selon elle, l'immunité des plus puissants ne doit plus leur servir de caution. À ce sujet, l'ancienne magistrate parisienne reconnaît qu'il existe “une volonté politique d'épargner tel ou tel individu soupçonneux”. “Heureusement qu'il existe des juges consciencieux”, renchérit-elle rassurée. Le rôle de la presse dans la révélation d'affaires douteuses est également mis en relief par Mme Joly. Aussi milite-elle pour la protection des sources des journalistes. Conçue comme le remède miracle contre la gangrène, la justice à ses yeux a un pouvoir dissuasif immense. “La succession des procès fera comprendre aux gens que la période de tolérance est finie”, souligne la juge. Le plus grand procès attendu ici met aux prises Abdelmoumène Khalifa avec ses victimes. Evoquant cette affaire, Eva Joly recommande qu'elle soit jugée rapidement et exhorte les parties extorquées par le milliardaire à se constituer partie civile. Après sa conférence, l'invitée du ministre Ould Abbas devait s'envoler dans l'après-midi pour Oslo. Durant son séjour, elle a été reçue par le président de la République et le chef de la diplomatie. SAMIA LOKMANE