À Riadh El-Feth, il a cassé la baraque. Les jeunes de son âge et les vieux de l'âge de son père étaient des milliers à délirer avec lui. À boire la lucidité jusqu'au bout de la nuit. Une nuit de folie. De fureur. Amazigh parle en exclusivité aux lecteurs de “Liberté”. Liberté : Si jeune, tu as choisi l'exil. Pourquoi ? Est-ce un chemin nécessaire ? Amazigh Kateb : Non. À l'époque de nos aïeux c'était fait pour la perdition. Moi, j'y ai été pour faire le con avec mon père. Un peu à la manière d'El-Mokrani. Le départ, pour moi, ça a été l'apprentissage de l'aventure, de l'inconnu. Le père, tu en assumes le nom et l'héritage ? Bien sûr. Je l'ai connu un peu plus que ma mère qui ne m'a pas vu grandir. Elle a été un peu plus permissive. Yacine, artiste, était très intransigeant. Il m'a tout de même laissé vivre mes quatre cent coups. Et même l'école buissonnière. Il m'arrivait de ne pas aller en cours parce que ça me prenait trop la tête. À l'époque de mon adolescence, j'avais envie d'être dans la rue, de rencontrer l'histoire. L'histoire, laquelle, la tienne ? Oui, la mienne. Elle n'a pas commencé au lycée El-Mokrani. Ce que j'ai appris là-dedans ce n'est pas ce que j'ai découvert aujourd'hui : le pays, le travail, les continents, les échanges... Comment Amazigh Kateb est-il devenu Gnawa Diffusion ? J'ai commencé à me construire au moment où mon père est mort (1989 ndlr), parce que je n'avais pas le choix. Mon rêve, aujourd'hui, c'est de faire écouter un de mes morceaux à ce père qui ne m'a jamais entendu chanter. Très jeune, tu étais déjà un homme, un vieux jeune… Kateb Yacine, mon père, m'a obligé très tôt à aller vers l'âge adulte. À ce jour, je n'arrive pas à m'affranchir de son héritage. Mon père n'était pas un insipide, une crevette. Sa mémoire est vivace partout, chez chacun… Je le sais, comme je sais aussi que sa tombe a été profanée. Encore une victoire ! Ce père, je le revendique rarement. Il y a des gens qui le connaissent mieux que moi. C'est à l'âge adulte que toutes les choses qu'il m'a apprises me sont revenues. Il a fallu que je devienne lui et moi. Tu parles beaucoup de ton père, et ta mère ? Elle a toujours été là, mais, il est vrai que j'ai de tout temps vécu avec Yacine. C'est la loi qui en avait décidé ainsi. Le code de la famille, tu sais… Kateb était souvent envahi. C'était aussi ton espace. Un tout petit espace. Ça ne te dérangeait pas ? Pas vraiment. C'est mon père qui était submergé. Pas moi. Au contraire, moi j'aimais bien qu'il y ait tant de monde. Comment as-tu fini par devenir musicien ? Quand on est le fils de Kateb Yacine et de Zoubeïda Chergui, on ne peut que finir artiste. Créateur. L'art ? J'y ai plongé par fatalité. Je n'ai jamais rien prémédité. Je ressemble un peu à mon oncle Yazid (Oulab, artiste peintre aujourd'hui installé à Marseille), il a longtemps vécu avec Yacine mais jamais dans son giron. Il s'est fait tout seul. Entre autres, je crois que c'est le chômage et la misère qui se profilaient qui ont fait de moi un chanteur. Quand j'étais jeune, je voulais être Al Capone. Tu n'aimes pas les généraux, ils t'embêtent toujours ? Ce qui m'embête ce n'est pas tant les généraux, c'est la casquette. L'uniforme. Le pouvoir. Tout ce qui en découle comme mépris et actes d'injustice. Ce n'est pas moi qui gère les containers qui bouchent les ports d'Algérie… Révolté tu es né, révolté tu restes. Même en France tu as commencé par Bleu blanc gyrophare. Une allusion droite dans ses bottes au drapeau français. Un besoin de revanche ? La colonisation a été un fait grave. Elle a été dépersonnalisante. Pire, elle a détourné notre regard de notre essence. L'africanité. Je ne peux aimer. Je ne peux pas me taire. Je ne peux pas fermer les yeux sur la ghettoïsation des populations qui me ressemblent et qui vivent en France. À côté de la France. Dans les banlieues. Pourquoi l'Afrique te taraude-t-elle tant, amazigh ? Parce que je suis Africain tout simplement. Nous avons trop pris l'habitude de donner le dos au désert. Nous le donnons aussi à la mer, d'ailleurs. Plus personne dans notre pays ne sait plus d'où il est, qui il est. Moi, je sais, depuis ma rencontre avec le gnawi à Timimoun, que je suis africain. Arabe, musulman, berbère, blanc… tout cela n'est qu'une somme d'évidences. Rien ne me sépare du black sub-saharien. Tout me lie à lui, au contraire. Surtout la misère. Surtout l'exil renouvelé. Toujours vivace. Toujours vivant. Et Sabrina ? Pourquoi ce titre phare, cette chanson ravageuse ? Parce que la femme est l'avenir de l'algérien. Sabrina c'est n'importe quelle fille de mon pays. Ces femmes qu'on aime, qu'on est obligé d'aimer. M. O.