Amazigh Kateb, le rebelle à la voix d'or, l'enfant terrible de la musique algérienne, a éclipsé jeudi soir toutes les étoiles de la nuit d'Alger. Plus aucun, à l'esplanade de Riad El Feth, n'avait osé regarder le ciel cette nuit-là car l'étoile, la vraie, était en réalité sur scène. «Amazigh dialna, dialna, Amazigh dialna, dialna», scandait un public bouillant qui attendait impatiemment la venue de son idole. Une attente durement digérée car les ajustements de la sono et les problèmes techniques surgis juste avant l'entrée en scène du rebelle ont failli gâcher la fête. Et, pourtant, tout avait bien commencé. Tout d'abord, les «Masabanga» des îles Comores avaient mis le feu à l'esplanade avec les chants et les sons de leur tam-tam qui distillait ses rythmes magiques sur un public fasciné et époustouflé par tant de poésie et de grâce transportées dans cette musique exotique. Par la suite, c'était au tour du Diwan de Casbah, un groupe qui puise sa musique purement traditionnelle dans le cœur même de la pratique gnawie en mariant les percussions du banjo et les chants karkabou de reprendre le flambeau pour attiser encore cette flamme de joie et de bonheur. Le public charmé s'abandonne à cette atmosphère gnawie qui gagne vite en intensité, en vitalité, en excitation. Les chants sont entonnés en groupe, des incantations sont lancées au public, des airs connus reviennent pour évoquer les longs métissages que les siècles et les initiatives ont façonnés. Plus qu'une musique, c'est toute une mise en condition, une mise en situation. Danses, guembris et karkabou allument les corps, enflamment les cœurs et embrasent les âmes. Dès lors, les jeunes, venus nombreux au concert, entrent en complicité avec l'orchestre, s'insinuent dans la perméabilité des chansons, la sensibilité des invocations et la profondeur de ces bouts de phrases incantatoires, véritable héritage de cette africanité en nous-mêmes. Des groupes de jeunes dansent, d'autres entrent en transe et certains improvisent même des chorégraphies impressionnantes. En somme, un merveilleux préambule avant l'entrée fracassante d'Amazigh Kateb qui avoue d'emblée sa frustration. «Jamais, je ne me suis senti aussi mal dans ma peau. J'étais dans la loge et mon corps frissonnait car je voulais vous rejoindre», confesse-t-il sous les hurlements des fans. Des fans qui en auront pleins les yeux dès que Kateb fils commence à débiter les chansons de son nouvel album : Bush met (Bush est mort). Un véritable manifeste pour l'amour, la révolution, la justice et la jeunesse. Le franc-parler et le politiquement incorrect de l'artiste en font un des albums les plus téléchargés alors que sa sortie est prévue le 17 octobre prochain. Date loin d'être fortuite puisque c'est le 48e anniversaire du massacre des émigrés algériens sortis manifester dans les rues de Paris, en 1961. Mais revenons au concert. En intro, Amazigh sonne la sédition en reprenant exclusivement en chant les deux poèmes de jeunesse du défunt Kateb Yacine, Bonjour et Africa. Il n'en fallait pas plus pour faire oublier au public sa douloureuse rupture avec son groupe mythique, «Gnawa Diffusion», même si le Petit Moh (Mohamed Abdennour), dont le mandole a été pour beaucoup dans la magie musicale du groupe, et le percussionniste Amar Chaoui ont accompagné le rebelle lors de ce concert inoubliable. C'est dire qu'Amazigh ne rompt pas pour autant avec le style musical de «Gnawa Diffusion». Pour preuve, ses nouvelles chansons, qui ont enivré un public en hystérie, sont aussi métissées, balançant entre le chaabi, le reggae, le ragga, le raï et l'électro, mais avec, cette fois-ci, un plus large espace concédé à la voix et au verbe. Un verbe plein d'audace qui dénude les réalités de notre pays. Dans Mousiba, sans doute la chanson la plus engagée de son nouvel album, les mots sont crus et la colère est authentique devant la hogra, le piston et la «corruption savon». Le «pays de la karantita», «les madamate qui nous manquent» et «tchador fi ennhar ou le khaouf fi ellil» sont autant de griffes lancées par l'artiste contre la société notamment et particulièrement l'Etat qui «ne veut pas nous voir même si nous on le voit». Vous l'aurez deviné, disons même compris, Amazigh n'a pas laissé sa langue dans sa poche pour parler de cette Algérie qui est «une figue de barbarie». Mazalna hayine est l'autre chanson qui a mis en émoi toute l'esplanade. Le poing en l'air, à la Che Guevara, l'artiste et les jeunes, en totale communion, criaient, bondissaient et hurlaient à la face du monde leur indignation. «Lyoum ndirou tchaklala» galvanise encore et encore Amazigh, tel un lion qui rugit, lequel enchaîne majestueusement avec Bab El Oued Kingston. Une chanson qui donna le coup de grâce aux milliers de jeunes, dansant en groupe et en solo, se trémoussant, l'un perché sur l'autre, un pied en l'air et l'autre sur le sol, la tête dans les étoiles. Oui les étoiles, les belles étoiles d'Alger la nocturne, personne n'a pensé à elles car cette nuit-là la «tchaklala connection» d'Amazigh Kateb a fait tourner les têtes de nos jeunes. La révolution leur appartient toujours… A. S.