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"Les éditeurs ont encore du chemin à faire pour la promotion du livre"
Nassira Belloula, auteure, à "Liberté"
Publié dans Liberté le 27 - 11 - 2018

Rencontrée au 23e Salon international du livre d'Alger (du 29 octobre au 10 novembre), où elle était venue signer son dernier roman "Aimer Maria", paru aux éditions Chihab, l'auteure Nassira Belloula, ancienne journaliste qui vit depuis 2010 au Canada, a bien voulu revenir dans cet entretien sur son roman et par-là même nous parler un peu de son actualité hors frontières.
Liberté : Nassira Belloula, vous renouez cette année avec le Sila après une longue absence.
Nassira Belloula : C'est mon premier salon depuis mon départ en 2010, alors que j'étais une inconditionnelle du Sila, comme journaliste et auteure aussi. Cette année j'y reviens avec beaucoup de plaisir et du bonheur même pour plusieurs raisons, d'abord revoir des ami(e)s, des ex-collègues, assister à des rencontres, échanger avec des auteurs, faire des découvertes pourquoi pas.
Puis présenter mon dernier roman Aimer Maria. J'ai eu notamment l'honneur de participer aux 10es rencontres euro-maghrébines des écrivains dont la thématique fort intéressante tournait autour du souvenir.
Et pourtant Aimer Maria n'est pas le seul roman édité depuis votre départ…
Non justement, en 2014, Terre des femmes a été publié aux éditions Chihab. Certes je n'ai pas pu me déplacer pour le Sila, vu que j'avais entrepris des études, mais mon éditeur avait organisé une rencontre avec le public et les journalistes à la sortie du roman au niveau de son siège de Bab El-Oued. Je suis revenue aussi en 2016 lors de la remise du Prix international Kateb-Yacine qui s'est déroulée à Guelma.
Terre des femmes est une saga féminine qui retrace l'histoire de l'Aurès à travers cinq figures de femmes. Un roman que j'ai eu beaucoup de plaisir à écrire, à en parler, et le public, le lectorat était là. Il a suscité beaucoup d'intérêt, de travaux de thèses, de mémoire aussi.
Dans Aimer Maria, on reste toujours dans la thématique féminine, voire féministe ?
Je dirais que c'est l'infini féminin, un monde mystérieux, impénétrable qui offre tellement de variations dans l'articulation du thème qu'on ne peut pas dire qu'il est radotant. Aimer Maria est un roman sociologique ou intimiste, Terre des femmes plutôt historique.
Maria est un personnage trouble, complexe, énigmatique presque. Au-delà de l'aspect "condition féminine", on a avant tout une histoire comme tant d'autres, une douleur, un questionnement, une situation insurmontable, "indépassable" si je puis dire ainsi, tant elle paraît à la fois anodine et compliquée. Ces choses intimes enfouies que l'épouse ne raconte pas.
C'est un peu cela Maria, elle va être forcée à un mariage, alors que son cœur est pris, et va supporter un mari pervers et mesquin qui va tailler sa personnalité au départ forte et rebelle presque au bistouri, jusqu'à la réduire à rien. Elle va devenir une ombre, une coquille vide, une âme en perdition entre les quatre murs de sa maison subissant une violence verbale, maltraitance morale, enfermement.
Mais elle va finir par quitter le foyer, subitement...
C'est justement le cœur du sujet. Pourquoi après trente ans de mariage, après avoir tout supporté, elle décide de quitter son foyer. Un jour, elle se lève le matin, fait sa valise, laisse tout ce qui concerne le mari dans la maison, ne prend que les affaires achetées par ses parents, remet une vieille robe qu'elle avait d'avant son mariage et rentre chez sa mère sans donner aucune explication.
Elle affronte ses filles, affronte la peur de sortir de la maison, chose qui lui est interdite sans chaperon, affronte la rue qu'elle ne connaît pas et arrive chez sa mère provoquant une situation délirante et hilarante.
Mais il faut suivre Maria dans ce retour chez ses parents pour comprendre son état, ses appréhensions, ses doutes et surtout sa détermination à en finir avec ce mariage. La clef de l'histoire est là…
Et pour avoir cette clef, on doit lire votre roman, on l'a bien compris. Sinon, votre actualité et vos projets futurs ?
Tout à fait, le roman se lit d'une manière assez agréable au regard de l'épuration du style, ce n'est pas si triste que cela malgré l'histoire. Aimer Maria avait séduit le jury du Prix Mohamed-Dib puisqu'il a été finaliste en 2016.
Pour mes projets, toujours l'écriture mais aussi finir mes études à l'université de Montréal, après une licence en arts et sciences, une maîtrise en histoire, je vais entamer un master en littérature comparée. J'ai aussi des projets d'écriture que je peaufine. Il y a aussi mon adhésion au Parlement des écrivaines francophones créé récemment ; nous sommes à peu près 70 écrivaines membres venant de pays différents.
Notre objectif est d'avoir une voix qui compte, une voix d'écrivaines qui se préoccupent de notre monde et de notre devenir.
Nous avons tenu nos premières assises en septembre passé dans la ville d'Orléans en France.
Et votre vie au Québec, comment se passe-t-elle ?
Entre études, écriture et rencontres. J'ai été sollicitée pour faire partie du jury du Conseil des arts du Canada pour l'évaluation des demandes de subventions pour des projets littéraires.
J'ai été notamment lauréate de bourses d'écritures et de résidence d'auteure. Et sur le plan commun, nous avons organisé, avec un collectif d'auteurs, les journées du livre des auteurs de la diaspora arabe et berbère et d'autres projets en cours.
Les réseaux sociaux sont devenus incontournables dans les échanges, partages et médiatisations, qu'en pensez-vous ?
Les réseaux sociaux sont devenus indispensables même, surtout sur le plan professionnel ; ce sont des atouts, car même les maisons d'édition "exigent" presque de voir évoluer leurs auteurs sur les réseaux. Ces derniers permettent des échanges directs, des partages comme vous dites.
Mais il faut aussi faire attention dans leur utilisation, ils peuvent être aussi bénéfiques que dangereux sur certains plans. Parfois, ils sont un terreau d'intolérance et d'incompréhension, d'où la nécessité du comment et du pourquoi de leur emploi.
Ils sont un espace d'expression non négligeable au-delà de l'aspect contact qu'ils offrent ou de sociabilité, ils peuvent devenir un moyen efficace d'atteindre son lectorat.
Pour conclure, quelles sont vos impressions sur le Sila 2018 et le monde de l'édition en général en Algérie aujourd'hui ?
Je trouve que nous n'avons rien à envier aux autres. Nos maisons d'édition font un travail remarquable. Il y a une nette progression, amélioration que ce soit dans le contenu, le technique, les thématiques, etc. Les livres sont non seulement beaux, qualité du papier, couverture, mais aussi bons.
Il y a une constante avec nos écrivains majeurs et aussi une relève incroyable, avec des jeunes auteurs qui sont à leur première œuvre mais de belle facture. Une relève à encourager et à lire. Certes, le livre est toujours confronté à des problèmes complexes, des difficultés et une politique qui peine à se dessiner, cependant nos éditeurs actuellement offrent le meilleur. Les prix qui s'enrichissent chaque année sont un pouls de la santé aussi de notre littérature. Cette année, on dit bienvenue au Prix Yamina-Mechakra.
Mais le hic, si j'ose dire, est le manque de promotion, de médiatisation. Nos éditeurs, sur ce plan-là, ont encore du chemin à faire. Et pour finir, les médias aussi doivent s'ouvrir plus largement aux livres et aux auteurs et donner les espaces qu'il faut à la littérature.


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