Selma Benchaabane, 34 ans, biologiste et responsable d'une unité d'essais cliniques, est mère de deux enfants. Sofia, son deuxième enfant, a été admis en mars 2015 à l'hôpital de Beni Messous, quelques jours après sa naissance. Après dix jours, le personnel soignant lui annonce froidement que sa fille ne marchera peut-être jamais et qu'elle devait "au plus vite se débrouiller pour trouver une ambulance et l'emmener dans un hôpital où elle peut bénéficier de maârifa (passe-droit, ndlr)". S'ensuit une véritable galère pour confirmer le diagnostic. En vain. La force du destin en aura voulu autrement. Aujourd'hui, la petite Sofia a trois ans. Elle court et rit, dessine, joue et chante à tue-tête, sans avoir reçu le moindre traitement. Sa mère a tenu à témoigner pour lancer un appel au personnel soignant. Elle dénonce le comportement inhumain, froid et léger qui a gagné le milieu hospitalier. "Votre bébé a un grave problème neurologique, il risque de ne jamais marcher, de ne jamais parler." Selma Benchaabane, 34 ans, biologiste et responsable d'une unité d'essais cliniques à Alger, ne se souvient plus, aujourd'hui, du nom de la maître assistante qui lui a fait cette annonce dans un couloir de l'hôpital de Beni Messous (Alger), dix jours après la naissance de sa fille, en mars 2015. Mais elle se souvient de sa voix placide, des va-et-vient et du désordre régnant autour, de l'indifférence et de l'effondrement que cela a suscités en elle. "J'étais avec mon mari et mon fils qui avait alors deux ans et demi, elle m'a demandé d'approcher des escaliers où elle était debout et elle m'a annoncé que ma fille avait un grave problème neurologique, qu'elle risquait de ne jamais marcher, de ne jamais parler et que je devais trouver une ambulance et l'emmener tout de suite dans un autre hôpital où j'aurais de la maârifa (passe-droit)", raconte Selma sur un ton posé et calme. La jeune mère semble avoir nettement accusé le coup depuis. Mais, il y a trois ans, cette annonce était tombée comme un couperet. "Notre vie a basculé, ce 27 mars 2015", raconte-t-elle, encore posément avant de faire le récit de cette hospitalisation marquante. "Ma fille est entrée à l'hôpital 5 jours après sa naissance, sans que l'on sache réellement pourquoi ni comment elle a pu rester plus de 15 jours enfermée dans cette couveuse, toute frêle, toute fragile… D'un simple ictère, nous sommes arrivés à des diagnostics complètement fous, voire surréalistes et sans aucune proposition de traitement." Quelques jours après la naissance de Sofia, Selma et son mari décident d'emmener leur fille aux urgences après avoir été inquiétés par son calme et des symptômes qui leur font penser à un ictère. La petite est hospitalisée d'urgence et placée dans une couveuse. Les parents ont dû faire face durant des jours à l'exclusion et au silence. "Ils ne nous donnaient aucune explication sur son état et nous n'avions pas le droit de rester avec elle." Les jours passent et la mère entre dans un véritable combat pour pouvoir allaiter le nourrisson. "Je les suppliais de me laisser l'allaiter, on me demandait de partir et de revenir toutes les trois heures et dès que je revenais en m'annonçait qu'ils lui avait donné un biberon de lait." Appel au personnel de la santé Trois ans après les faits, Selma arrive à en parler dans le calme. Elle a appris depuis à apprivoiser ses émotions et à contenir sa colère. "Comment peut-on priver un nouveau-né de quelques jours de sa mère ?", se demande-t-elle. "Je devais pointer pour la voir chaque 3 heures afin de l'allaiter en suppliant les infirmières de m'attendre afin que je puisse l'allaiter, mais en arrivant sur place, si j'avais le malheur d'arriver 5 ou 10 minutes en retard, le lait en poudre dans le biberon gagnait la bataille pour moins de tracas et pour avoir la paix au service, mais le plus dur aura été ce diagnostic annoncé maladroitement et à la légère, suivi de l'invitation à emmener ma fille ailleurs où j'aurais du piston". "Ils interdisaient même à son père de rentrer la voir, sans raison." Dix jours après l'hospitalisation de sa fille, la mère a enfin droit à un diagnostic : "Je n'oublierai jamais le jour où cette maître assistante de renom m'a annoncé, debout, sur le pas de porte et pressée de partir, que ma fille avait un problème neurologique grave, et qu'il fallait trouver une ambulance et l'emmener là où j'aurais une maârifa (passe-droit, ndlr). Elle a ensuite enchaîné avec des suppositions toutes plus choquantes les unes que les autres et incertaines." "Il se pourrait qu'elle ait un retard mental ou qu'elle ne puisse jamais marcher ou parler, m'a-t-elle asséné. Ces paroles ont eu un tel choc dans ma tête, qu'aujourd'hui, trois ans après, j'en ai encore des frissons." Aujourd'hui, la petite Sofia a trois ans, elle court et rit, dessine, joue et chante à tue-tête, sans avoir reçu le moindre traitement. "C'est une enfant épanouie et en pleine forme", lâche sa mère dans un sourire. Selma en témoigne aujourd'hui, car elle entend rendre cette "mauvaise expérience" utile. Trois ans après les faits, elle tient à témoigner pour que les choses changent, en lançant un appel à tout le personnel soignant : "Je tenais à témoigner pour lancer un message à tous les professionnels de santé en exercice, pour leur dire que les mots, les gestes, les regards qu'ils utilisent sont tellement importants qu'ils se doivent d'être vigilants…Vous pouvez briser des vies juste à cause d'un geste ou d'un mot inopportun." Pour la dame, la froideur du personnel soignant est dramatique et inacceptable. Elle y a été confrontée durant des mois d'exploration. "On a passé des mois à se trimballer entre deux hôpitaux avec une pseudo-ambulance, complètement archaïque. J'étais choquée des professionnels de la santé que j'ai croisés, ils étaient incapables d'empathie, ne sachant ni parler ni communiquer une information fiable à des parents en détresse, aucun psychologue à disposition, nous étions traités comme du bétail." Pour Selma, quant à la détresse et aux affres de la maladie s'ajoutent des comportements inhumains et blessants, c'est des familles qui peuvent être bouleversées, des drames qui peuvent se nouer. Hommage au bébé Yacine, mort faute de soins "Pourquoi tant de froideur, tant de haine ? À quel moment la médecine algérienne a-t-elle basculé dans tant d'inhumanité ?", se demande-t-elle avant de tenter de se l'expliquer. "Difficultés de transmission de l'information, rigidité du personnel soignant, incapacité d'être empathiques. Tout le monde est bien évidemment conscient de ce manque de compassion, mais lorsqu'on est confronté à cela, on trouve cela tellement choquant, inadmissible. Sincèrement, je ne saurais expliquer cela, peut-être est-ce dû au fait qu'ils soient débordés, qu'ils manquent de matériel et de moyens… peut-être." Elle ne veut pas brandir des accusations à la légère et semble entretenir le doute. La seule chose dont elle semble sûre est qu'un débat public doit être ouvert à ce sujet. "J'ai décidé de témoigner de mon expérience il y a quelques semaines, après avoir lu dans Liberté l'article sur le bébé Yacine décédé samedi 22 septembre pour une simple bronchiolite. Je voulais lui rendre hommage, rendre hommage à ses parents et à tous ceux qui subissent les affres des mauvaises prises en charge dans nos hôpitaux", annonce Selma qui confie s'être sentie si proche de ses parents. "Ça aurait pu être mon fils, ma fille, nous sommes tous concernés", s'emporte-t-elle. Selma est convaincue d'accomplir un devoir citoyen nécessaire en racontant son histoire et en appelant le personnel soignant à plus d'humanité et de vigilance. "Nous ne devons plus garder le silence, il faut un sursaut pour que les choses changent dans nos hôpitaux", soutient-elle. "L'expérience que j'ai vécue était tellement douloureuse et intense ; je n'ai pas pu extérioriser toute cette douleur encore, elle ressort aujourd'hui car je sais que plein d'autres mamans et de papas vivent ce genre de situations, certains ont perdu la vie comme le petit Yacine et plein d'autres." F. B.