C'est donc officiel : le très controversé prince héritier, vice-président du Conseil des ministres et ministre de la Défense d'Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, dit MBS, effectue à partir d'aujourd'hui une visite officielle de deux jours en Algérie. Cette visite s'inscrit dans le cadre de "la consolidation des relations privilégiées entre les deux pays et peuples frères et permettra de donner un nouvel élan à la coopération bilatérale et de concrétiser des projets de partenariat et d'investissement, en ouvrant de nouvelles perspectives aux hommes d'affaires, en vue d'augmenter le volume d'échange commercial et d'élargir le partenariat économique entre les deux pays", selon un communiqué de la Présidence algérienne, qui précise que le prince sera accompagné d'une délégation de haut niveau qui compte des membres du gouvernement, des hommes d'affaires et des personnalités saoudiennes éminentes. Si a priori la visite s'annonce à forte connotation économique, surtout pour l'Algérie incommodée par la récente décision saoudienne d'augmenter sa production pétrolère afin de pousser les prix du pétrole à la baisse et ce, pour exaucer le vœu américain, il n'en demeure pas moins que les questions de politique internationale, comme la cause palestinienne, la lutte contre le terrorisme ou encore la réforme de la Ligue arabe, seront au menu des discussions entre les dirigeants des deux pays. "La visite de Son Altesse Royale le prince héritier saoudien sera l'opportunité d'examiner et d'échanger les points de vue sur les questions politiques et économiques arabes et internationales d'intérêt commun, et à leur tête la question palestinienne et les situations dans certains pays frères, outre les évolutions du marché pétrolier", note le communiqué. Le texte ne fournit aucune précision, cependant, sur l'agenda de la visite. Encore moins si une rencontre avec Bouteflika est au programme. Reste que cette visite, qui intervient dans la foulée du Sommet du G20 où le prince — en quête d'envergure internationale, mais englué dans l'affaire de l'assassinat du journaliste Jamal Kashoggi — a eu toute latitude d'apprécier sa réputation "sulfureuse", lui qui a eu droit à un accueil "froid" de la part de nombreux dirigeants, ne s'annonce pas sous de bons auspices. De nombreuses voix parmi les partis, le mouvement associatif et les intellectuels s'élèvent, en effet, depuis quelques jours, en Algérie, pour dénoncer cette visite. Dernière en date, celle d'une brochette d'intellectuels qui ont signé un manifeste pour dire "non" à la visite du jeune prince. "L'Algérie s'apprêterait à recevoir en visite officielle le prince héritier d'Arabie saoudite, Mohamed Ben Salmane, dont le monde entier sait de science certaine qu'il a été l'ordonnateur d'un crime abominable contre le journaliste Jamal Khashoggi, crime dont on ne trouvera point de parallèle dans les annales de l'humanité civilisée", relève ce texte signé, notamment, par Abderrazak Guessoum, président de l'Association des Oulémas algériens, Rachid Boudjedra, Kamel Daoud, Nacer Djabi, Mohamed Sari, Abdelkader Djeriou, comédien et metteur en scène, ainsi que plusieurs journalistes. "En accueillant l'émir saoudien Mohamed ben Salmane, l'Algérie officielle ne risque-t-elle pas d'accorder une prime d'encouragement à la politique rétrograde de cette monarchie, exportatrice non seulement du pétrole, mais aussi de l'intégrisme wahhabite qui se dégrade rapidement en intégrisme violent ?" s'interrogent les signataires dans ce texte repris par TSA. Quelques jours plus tôt, le MSP, proche de l'AKP turc, avait estimé que cette visite ne sert "ni la réputation de l'Algérie ni son image". Pour sa part, le RCD s'est étonné, dans un communiqué de son conseil national, de cette visite d'un prince sur lequel pèsent des présomptions de culpabilité dans l'assassinat de Kashoggi, tandis que Louisa Hanoune l'a assimilée à "une blague de mauvais goût", la qualifiant de "grosse provocation". Parallèlement, une pétition a été initiée sur les réseaux sociaux. Mais s'il apparaît évident que ces réactions sont principielles, sans effet sur la politique étrangère de l'Exécutif, elles témoignent, en revanche, du fossé existant entre un régime, confronté à une crise financière sévère et soucieux de s'attirer le soutien d'une pétromonarchie, aujourd'hui en bisbille avec le Maroc, et une population qui éprouve de la sympathie pour les peuples opprimés, comme les Yéménites ou encore le Syriens, dont la situation est en partie la conséquence de la responsabilité de Riyad. Pour le commun des Algériens, la nature des relations avec le régime wahhabite intrigue, surtout lorsque le gouvernement avait condamné le déploiement, en décembre 2017, d'une banderole par des supporters à Aïn M'lila qui ont tenu à dénoncer le transfert de l'ambassade américaine à Jérusalem. Mais pour les dirigeants, il y a comme un étrange tropisme suggérant que cette relation est comme vitale. Il y a une raison chez le régime que la raison des Algériens ignore. Karim Kebir