"Le pouvoir, c'est comme le gaz, si vous le laissez libre, il étouffera tout le monde." La métaphore de Fatiha Benabbou montre les risques inhérents à une Constitution qui donne au chef de l'Etat des prérogatives abusives. Pour mieux comprendre le contexte politique actuel, la constitutionnaliste Fatiha Benabbou, invitée hier du Forum de Liberté, a longuement expliqué les fondements de la Constitution, comme source de souveraineté du peuple sur ses gouvernants. "La Constitution est un instrument de luttes politiques, qui vise à limiter les pouvoirs absolutistes", a-t-elle exposé, en remontant aux origines de l'apparition de cette loi supérieure, dans l'absolu, à tous les textes législatifs. "Le pouvoir, c'est comme le gaz, si vous le laissez libre, il étouffera tout le monde", a-t-elle imagé pour transmettre plus clairement son message. De fil en aiguille, elle a démontré que la Constitution algérienne, révisée au gré des conjonctures et des ambitions politiques, est devenue davantage un outil "d'exacerbation des pouvoirs présidentiels". La responsabilité incombe, en grande partie, au peuple qui n'assume pas sa prééminence sur les personnes qu'il a mandatées pour conduire les affaires de l'Etat. "Le peuple n'a pas transcendé son statut de foule et ne représente pas une unité politique qui met en œuvre sa souveraineté", a soutenu la constitutionnaliste. Ce qui revient à conclure que le pouvoir constituant, qui appartient — dans un régime démocratique — aux citoyens, est spolié par le pouvoir constitué, soit le président de la République. "La Constitution est respectée lorsqu'une classe sociale, consciente de ses missions citoyennes, impose son projet de société et, par là même, le principe de séparation des pouvoirs", a développé Mme Benabbou. À part quelques accidents de l'histoire de l'Algérie indépendante, le régime n'a jamais été vraiment ébranlé par la rue. L'invitée du Forum de Liberté a rappelé que le président Boumediène a carrément mis en veille la Constitution dès son arrivée au pouvoir par un coup d'Etat en juin 1965 jusqu'à son décès en 1978. Jusqu'à l'ouverture démocratique de 1989 dans le sillage du soulèvement populaire d'Octobre 1988, le parti unique a dirigé le pays sans partage et sans la moindre concession au peuple et à l'opposition. De l'interruption du processus électoral en décembre 1991 à 1996 par le président Zeroual, l'Etat nation n'existait pratiquement pas sous la forme d'une souveraineté exercée par des institutions élues et une administration organisée. Pour la deuxième fois, la loi fondamentale est confinée dans une parenthèse, sans effet. À l'avènement de l'ère Bouteflika, l'hégémonie du régime se consolide de mandat en mandat, jusqu'à totalement atomiser les contre-pouvoirs potentiels. "Nous avons une Constitution de paix qui ne codifie pas les rapports de force, lesquels sont gérés en coulisses", a estimé Fatiha Benabbou. À vrai dire, à l'exception de la constitutionnalisation, en 2002, par le Parlement réuni en ses deux Chambres, de tamazight langue nationale, les révisions de la loi fondamentale de 2008 et 2016 ont renforcé, au-delà du raisonnable, les "faits du prince" du président de la République et ont accru son ascendant sur toutes les institutions de l'Etat. En parallèle, les compétences du Parlement, de la primature et Conseil constitutionnel… ont été réduites à telle enseigne qu'elles sont formellement et juridiquement assujetties à l'autorité du chef de l'Etat. En définitive, rien ni personne ne peut empêcher le président Bouteflika d'accomplir un 5e mandat, ou de prolonger l'actuel mandat si lui ou son entourage immédiat le désire. Il suffira d'introduire, dans la Constitution, quelques artifices. Fatiha Benabbou l'a parfaitement démontré, hier, au Forum de Liberté. Souhila Hammadi