Fatiha Bennabou, constitutionnaliste reconnue pour ses compétences en la matière, mais surtout pour sa liberté de parole en rupture avec les avis des constitutionnalistes organiques trop soucieux de leurs carrières pour manipuler la Constitution au scalpel comme elle le fait avec courage, a scanné lors du forum de Liberté, dimanche, le corps malade de la Constitution en zoomant sur les zones à traiter prioritairement. Pour l'experte en droit constitutionnel, la source du mal dont souffre l'Algérie, depuis l'indépendance à nos jours, est à rechercher dans les fondements de la Loi fondamentale qui confie des pouvoirs exorbitants au président de la République. Tout est dit dans cette sentence qui se vérifie clairement dans la nature hyperprésidentielle, voire absolutiste du fonctionnement de l'Etat, incarné par un système de gouvernance reposant sur l'allégeance et la soumission. Qui s'approprie la prérogative d'amender la Constitution détient le pouvoir ! L'absence de contre-pouvoirs et la non-séparation des pouvoirs, en dépit de la consécration dans la Constitution de ces principes fondateurs des Etats démocratiques, autorisent toutes les dérives. L'impasse dans laquelle se trouve aujourd'hui le pays est, certes, imputable à une crise de gouvernance, mais elle s'explique, aussi et avant tout, par le déficit démocratique qu'accuse le pays. Même les atteintes répétées à la Constitution n'offusquent plus personne, car s'opérant dans le respect de la légalité constitutionnelle, même si politiquement elles apparaissent immorales et antidémocratiques. Fatiha Bennabou a encore rappelé, dimanche, cette fatalité de l'histoire des institutions algériennes en soulignant que le président de la République a parfaitement le droit de reporter l'élection présidentielle en dehors du cadre constitutionnel de «motif de guerre» fixé par la Loi fondamentale, en passant par une révision de la Constitution pour étendre le champ d'application de cette disposition. Cette tentation récurrente de recourir à la révision de la Constitution pour servir des desseins politiques étroits, chaque fois que le pouvoir a le dos au mur, aurait été tout bonnement inconcevable si le pays était doté de puissants contre-pouvoirs pour dénoncer et combattre les dérives totalitaristes. Avec une presse totalement libre et non pas placée sous haute surveillance, une société civile organisée et combative dont la raison d'exister ne consisterait pas à courir derrière les subventions et les postes, une opposition qui ne concéderait rien au pouvoir de son rôle d'observatoire et d'aiguillon de l'action gouvernementale, une justice indépendante où les juges n'auront pas à gérer une carrière au lieu de rendre le droit, loin de toute injonction et pression, un pouvoir législatif qui n'aura pas à prendre ses instructions de l'Exécutif et des centres de décision formels et informels mais à légiférer au nom du peuple qu'il représente. Le pays est otage de sa Constitution. Le constat ainsi fait, comment sortir de ce piège ? Que faire pour que le peuple soit et demeure la source de la souveraineté nationale, que sa volonté ne soit pas détournée en cours de mandat ? C'est le sens de la réflexion et du débat lancé par la constitutionnaliste qui ne croit pas, dit-elle, pour ne pas être mal comprise, à la solution des émeutes et de la rue, mais au travail de sensibilisation en profondeur de la société politique, civile, de l'élite intellectuelle pour porter ce combat démocratique. L'idée de la Constituante défendue par le Parti des travailleurs de Louisa Hanoune n'est pas étrangère au débat engagé sur la nécessité de réformes profondes des institutions.