Le 14 juin 2001 est une date qui restera gravée en lettres de sang dans la mémoire collective. Ce jour-là, une grandiose et historique marche s'est déroulée à Alger avant de tourner à l'émeute. à l'appel de la coordination des archs, daïras et communes, née à peine un mois auparavant à Béni Douala, quelque 2 millions de citoyens des 4 coins de la Kabylie avaient investi les rues d'Alger pour crier haut et fort leur colère. Meurtrie dans sa chair et profondément révoltée par la violence inouïe opposée par les gendarmes à de jeunes émeutiers désarmés, la Kabylie avait décidé de descendre en masse au cœur même du pouvoir central, la capitale. Objectif assigné à cette démonstration de force : dénoncer la répression et soumettre ses revendications au premier magistrat du pays. Revendications consignées, 3 jours auparavant à El-Kseur dans la wilaya de Béjaïa, dans une plate-forme de 15 points. Des revendications éminemment démocratiques portées par un mouvement citoyen, puisant l'essentiel de sa culture politique et sa verve contestataire du Mouvement berbère d'avril 80. Pour réussir leur entreprise, les représentants de la CADC ont mobilisé d'énormes moyens de transports. Action ayant bénéficié du soutien des partis comme le MDS le FFS et le RCD, qui avaient, quelques jours avant, claqué la porte du gouvernement pour dénoncer la répression aveugle qui s'est abattue sur la population. Le résultat était phénoménal. Des Pins-Maritimes à la place du 1er-mai, la route était noire de monde. De mémoire d'algérois, jamais une manifestation publique, même du temps du FIS dissous, n'a drainée une telle foule ! Mais c'était compter sans le machiavélisme du personnel au pouvoir. Affolé devant un tel déferlement populaire, on a recouru à ce qu'on maîtrise le mieux : la manœuvre et la calomnie. Contenus au niveau du carrefour du 1er-mai, les manifestants voulaient coûte que coûte regagner le siège de la présidence à El-Mouradia pour remettre la plate-forme d'El-Kseur à Bouteflika. Les forces de l'ordre étaient décidées à leur barrer la route. Survint alors l'irréparable. La manifestation qui se veut résolument pacifique, dégénéra vite en violents et sanglants affrontements entre forces de l'ordre et manifestants. Le bilan de cet inégal corps à corps est effroyable : 6 morts, dont 2 journalistes, et plusieurs centaines de blessés. Des actes de vandalisme et des pillages ont été signalés. L'étendue du drame et de la déchirure était telle que les deux parties se renvoyaient la responsabilité du dérapage. Le pouvoir a reproché aux représentants de la CADC de ne pas avoir su encadrer la manifestation. La veille déjà, Yazid Zerhouni, ministre de l'intérieur et des collectivités locales, les avait mis en garde contre tout dérapage et annoncé avoir convenu avec eux du changement du point de chute de la marche : au lieu d'El- Mouradia, c'est la place des Martyrs. Les représentants de la CADC ont, quant à eux, crié à une grosse manipulation (l'infiltration de la marche par des policiers en civil, la manipulation de certains algérois contre les manifestants et le laxisme de la police devant les pilleurs…) du pouvoir pour discréditer leur action. Le choc psychologique était immense. La Kabylie, qui venait de connaître son “Printemps noir” en perdant 120 jeunes, replongera encore dans le deuil. S'étant saisi de la tournure dramatique prise par cette marche, Yazid Zerhouni avait alors décrété l'interdiction de toute manifestation publique dans la capitale. Et toutes les tentatives des représentants des archs (le 5 juillet et le 20 août 2001) d'organiser d'autres marches à Alger ont toutes tourné court. S'ouvrait alors pour la Kabylie une période marquée par un intense activisme politique, débouchant sur bien des acquis (l'institutionnalisation de tamazight par exemple). La scène politique régionale, occupée jusqu'alors par le FFS et le RCD, enregistrera donc un nouveau venu : le mouvement des archs. Un mouvement qui se voulait populaire et transpartisan. Il aura à son actif un acquis des plus précieux : l'institutionnalisation de tamazight. Mais chemin faisant, la désunion et l'essoufflement ont gagné ses rangs pour arriver à une scission en 2 factions. L'appel au dialogue d'Ahmed Ouyahia et plus particulièrement l'élection présidentielle d'avril 2004 en sont la cause principale. Et si pour Abrika et ses amis la satisfaction de la plate-forme d'El-Kseur est chose acquise avec le dernier feuilleton du dialogue engagé avec Ahmed Ouyahia en janvier 2005, ce n'est pas le cas pour les antidialoguistes pour lesquels l'accord global avec le chef du gouvernement et les délégués menés par Abrika est “vide de sens”. Se pose une question : Vers quoi s'achemine-t-on ? La réappropriation du terrain de la contestation politique par les partis politiques ? ARAB CHIH