Le pouvoir a décidé d'aller vers un cinquième mandat (sans campagne, ni discours du principal intéressé) sous le thème "de la continuité" et "de la stabilité". Interrogeons donc ceux qui appellent le chef de l'Etat sortant à briguer un nouveau mandat : de quelle continuité et de quelle stabilité s'agit-il ? La continuité au sein de la présidence de la République qui a changé d'adresse clandestinement, d'El-Mouradia à Zéralda, et où des personnes physiques et morales activent hors organigramme officiel ? Peut-on imaginer un instant le même scénario à la Maison-Blanche, au 10 Downing Street, à l'Elysée ou ailleurs encore ? La continuité du texte constitutionnel, des lois et des règlements qui sont piétinés et amendés, au gré des humeurs ou des intérêts du moment du prince Président ? La continuité dans les institutions, incarnant le pouvoir législatif, à travers deux organes (l'APN et le Conseil de la nation), transformés en chambres d'enregistrement, d'accaparement de privilèges et de passe-droits et où le cadenas sert d'outil au débat d'idées. La continuité au Conseil de la nation, au sein duquel le tiers présidentiel est constitué de larrons, récompensés pour "services rendus" au Président, et à la tête duquel trône le gardien du temple, le plus souvent absent pendant une longue durée pour maladie ? La continuité dans le pouvoir exécutif, composé de saprophytes, désignés par lettres de cachet, en fonction de leur proximité des cercles concentriques du Président et sur des critères régionalistes, de copinage, de ploutocratie et de courtisanerie, sans programme cohérent à moyen et long terme, sans homogénéité idéologique et politique et sans aucune stratégie ? La continuité au sein du pouvoir judiciaire, qui a été amené à privilégier "la justice de nuit" qui a avili la noble mission de la magistrature et des magistrats et introduit le bakchich comme critère d'arbitrage ? La continuité dans le pouvoir monétaire qui a été vidé de sa substance et réduit à imprimer des faux dinars, introduisant un processus de stagflation, pour la première fois, dans notre pays et une chute vertigineuse de la valeur du dinar ? La continuité dans les secteurs administratifs central et local, arrimés aux suggestions publiques distributives et assujettis aux pressions tutélaires, en dehors de tout cadre législatif et réglementaire, voire carrément en contradiction avec la loi ? La continuité au sein des associations à caractère politique, "redressées" à souhait, au gré des manœuvres multiples, morcelées, fragmentées et domestiquées, afin de les humilier et neutraliser toute critique, même constructive, de manière à créer le vide et annihiler toute émergence de contre-pouvoirs ? La continuité dans le mouvement associatif et des contributions citoyennes, complètement chloroformés et uniquement orientés vers le prosélytisme et l'apologie de la photo encadrée du Président, y compris au niveau du mouvement sportif qui a transformé les stades en lieux de pugilat entre supporters et contre les forces de l'ordre ? La continuité dans les mouvements syndicaux patronaux et des travailleurs, qui ont cessé de jouer leur rôle de courroies de transmission du monde du travail et de l'entreprise, en direction des pouvoirs publics, pour devenir des outils dociles entre les mains de ce même pouvoir, pour contrecarrer les revendications légitimes provenant de la société profonde et pour distribuer des monopoles et des rentes aux oligarques ? La continuité dans les politiques publiques qui ont enfermé, dans un appareil bureaucratique centralisé, les entreprises publiques et privées, les contraignant au déficit structurel ou à la liquidation prédatrice, tuant définitivement la liberté d'entreprendre et celle de créer des biens et services, favorisant l'expansion du marché informel et ses réseaux mafieux ? La continuité du programme économique, complètement assujetti à la rente pétrolière, qui a vu, en vingt ans, quelque 1 000 milliards de dollars US s'évaporer dans des projets à l'efficience douteuse et pour la plupart entachés de malversations et d'actes de corruption, ce qui a eu pour conséquences directe l'augmentation phénoménale de leur coût de réalisation ? La continuité au sein du système éducatif où des ressources importantes sont englouties, alors que son niveau qualitatif ne cesse de baisser et que la déperdition scolaire et universitaire jette des centaines de milliers d'élèves et d'étudiants hors du système, sans perspectives alternatives sinon le chômage, la délinquance, la précarité et la harga ?La continuité dans la politique de santé et de protection sociale, qui accroît chaque jour un peu plus les déséquilibres financiers sans améliorer la qualité des soins et la couverture sociale, obligeant la population à se soigner à l'étranger, lorsqu'elle en a les moyens personnels — ceux de l'Etat étant accessibles à la seule nomenklatura, sinon à se résigner à une mort certaine ? La continuité dans la politique culturelle et de communication, entièrement dédiée à l'apologie du pouvoir, confisquant la liberté d'expression et de création artistique, consacrant ainsi soit le droit au silence et à l'exil intérieur et extérieur, soit la répression sauvage ? Venons-en maintenant à la "stabilité". De quelle stabilité parlez-vous ? La stabilité dans les villes et les campagnes qui voient tous les jours les populations investir les rues, les places et les routes, pour revendiquer l'emploi, des structures de santé qui fonctionnent, des logements répartis équitablement, l'eau, l'électricité, le gaz, et qui ne trouvent, pour seules réponses, que la matraque ? La stabilité aux frontières, ouvertes ou fermées, qui véhiculent tous les trafics humains, de biens et services subventionnés, des drogues et de la harga réprimée ? La stabilité par l'achat de la paix sociale à coups de subventions inconsidérées, mal ciblées, opaques et surtout avec un impact négatif sur la société qui est réduite à la mendicité alors qu'elle aspire à la responsabilité sur son devenir et son destin ? La stabilité au sein de la société et principalement de la jeunesse pleine de vitalité qui revendique le droit à la citoyenneté, pour revendiquer une vie meilleure et un avenir radieux ? M. G. (*) Professeur, Expert financier