Natif de Béjaïa, Hafid Adnani, agrégé de mathématiques et cadre de l'éducation, anime depuis de longues années une émission littéraire, "Awal", sur Berbère Télévision qui a reçu nombre d'auteurs ayant consacré des ouvrages à la culture algérienne, amazighe en particulier. Dans ce recueil, Avec Mouloud Mammeri, il présente des textes écrits par l'anthropologue Tassadit Yassine, du vivant ou après la disparition de l'auteur de l'Opium et le Bâton. Rencontré lors d'un évènement culturel à Paris, Hafid Adnani a bien voulu nous accorder un entretien. Liberté : Vous venez de publier aux éditions Non Lieu un ouvrage regroupant des textes de Tassadit Yassine. Pourquoi ce livre sur Mammeri ? Hafid Adnani : C'est en 2017, à l'occasion du centenaire de la naissance de Mouloud Mammeri (né en 1917 à Taourirt Mimoun, Ath Yenni) que l'idée m'est venue. Comme j'ai travaillé à l'organisation d'un colloque à la Sorbonne avec Tassadit Yacine sur l'œuvre de Mammeri, j'ai pensé qu'il était important de rassembler les textes écrits par cette anthropologue sur l'auteur de La Colline oubliée. Quels sont les enseignements à tirer de l'œuvre de Mammeri ? Mammeri a aimé la littérature française. Il a été professeur de lettres et a aimé le grec et le latin. Il aimait Victor Hugo et les poètes français. Mais un jour, et c'était inscrit dans son destin, il a voulu se sortir de l'aliénation. Il est revenu comme Ulysse à Utac et il a consacré le restant de sa vie à la culture algérienne, notamment amazighe et en particulier à la poésie. Son livre-phare est à mon sens Poèmes kabyles anciens qui est un ouvrage doublement emblématique puisqu'il y raconte l'importance de la poésie en plongeant jusqu'au XVIIe siècle avec Youcef Oukaci. Mais c'est aussi un livre qui a été à l'origine des évènements de 1980, le Printemps berbère. Si les "gilets jaunes" se révoltent aujourd'hui en France pour le pouvoir d'achat et les conditions de vie, des gens se sont révoltés en 1980 pour la poésie et la liberté. Une conférence de Mouloud Mammeri sur la poésie kabyle ancienne, prévue à l'université de Tizi Ouzou suite à la sortie de son recueil chez Maspéro, avait été interdite, ce qui a déclenché les évènements d'avril 1980. Si l'on doit résumer l'apport de Mouloud Mammeri, on dira qu'il a consacré une bonne partie de sa vie de penseur à rendre sa dignité à une langue, à une culture, à un mode de vie, considérés comme illégitimes par les dominants, que ce soit le système colonial ou le pouvoir politique post-indépendance. Pourquoi le choix des écrits de Tassadit Yacine pour illustrer l'œuvre du grand écrivain algérien ? Parce que je voulais qu'on lise ce que pense une femme sur l'anthropologue, l'écrivain et l'homme important qu'était Mouloud Mammeri. C'est une manière, à travers la voix de cette femme, d'évoquer des choses qui sont dites, écrites, parfois scandées sur Mammeri, par des personnes qui ne l'ont peut-être pas suffisamment lu et compris. J'ai repris des textes écrits dans les années 1980 qui racontent Mammeri et son œuvre pendant la guerre par exemple. Comme d'autres, il a été un intellectuel et un personnage incontournable dans notre histoire. Dans ses textes, Tassadit Yacine nous révèle sa connaissance profonde de l'œuvre de Mammeri. Ayant longtemps côtoyé l'écrivain, elle a une réelle légitimité pour parler de lui, d'autant que c'est elle qui a continué à diriger leur revue Awal, depuis la disparition de l'écrivain le 26 février 1989. Avec Mouloud Mammeri, de Hafid Adnani sur des textes de Tassadit Yacine, Editions Non Lieu, 240 pages, 2018.