Mis en état d'arrestation avant-hier par la brigade d'investigations de la Gendarmerie nationale de la wilaya d'Alger, les frères Kouninef devront répondre de graves accusations portées à leur encontre par les instances judiciaires. "Détournement de foncier et de concessions", "trafic d'influence avec des fonctionnaires de l'Etat pour l'obtention de privilèges" et "non-respect d'engagements contractuels dans la réalisation de projets publics" sont autant de charges, pour le moins très lourdes, qui sont reprochées par la justice aux hommes d'affaires, autrefois "intouchables", que sont les frères Réda, Abdelkader, Karim et Tarek Kouninef. L'information a été diffusée hier par la télévision publique, qui a indiqué, sans avancer plus de détails, que les suspects ont été interpellés dimanche et qu'ils seront présentés devant le procureur de la République du tribunal de Sidi M'hamed, une fois l'enquête finalisée. La brigade des investigations de la Gendarmerie nationale ajoute, au demeurant la même source, "poursuit ses enquêtes préliminaires à l'encontre de plusieurs hommes d'affaires, dont certains font l'objet d'interdiction de sortie du territoire national". S'agissant des frères Kouninef, force est de relever d'emblée que les soupçons pesant sur eux sont de nature très grave, car portant sur des délits liés directement à des pratiques de corruption à large échelle, impliquant probablement de hauts fonctionnaires au sein des institutions de l'Etat. Très proches de l'ex-président Abdelaziz Bouteflika, et surtout très influents auprès du frère et conseiller de ce dernier, Saïd Bouteflika, les frères Kouninef auraient ainsi usé d'influence pour accéder illégalement à d'immenses avantages indus auprès des institutions étatiques, de même qu'ils sont suspectés de détournement de foncier et de deniers publics, ainsi que d'infraction à certaines clauses de contrats portant sur des marchés passés avec l'Etat. Propriétaires du groupe KouGC, créé par leur père, et activant à la base dans la construction, le bâtiment et les travaux publics, Karim, Noah et Réda Kouninef ont rapidement accéléré leur ascension sous le règne des Bouteflika, leur entreprise prospérant ainsi grâce, surtout, aux marchés publics obtenus à profusion dans divers secteurs, comme ceux de la téléphonie mobile et de l'agroalimentaire. Discrets et très redoutés avant la chute du clan des Bouteflika, dont ils furent durant des années cette sorte d'éminence grise dictant même la marche à suivre dans certaines décisions et arbitrages économiques, les frères Kouninef commençaient à être cités sur les scènes médiatique et publique à la suite, surtout, des soupçons révélés ces deux dernières années autour de certains de leurs projets dans le secteur de l'agroalimentaire. Très influente auprès du frère de l'ex-président de la République, la famille Kouninef aurait ainsi bénéficié illégalement d'immenses et indus avantages à l'investissement, mais aussi et surtout de lignes de crédits faramineuses auprès de banques étatiques, avec la complicité ou la complaisance de hauts responsables politiques, de banquiers et de hauts fonctionnaires de l'Etat. En attendant de savoir quelle issue sera donnée à leur arrestation et à leur audition par la Gendarmerie nationale, l'enquête ouverte sur les Kouninef, faut-il croire en définitive, risque de révéler toute l'ampleur du phénomène de prédation économique et de corruption qui s'est généralisé sous le règne des Bouteflika. Akli Rezouali