Ils formeraient cette espèce de "famiglia", d'oligarchie si puissante qui influence de très longue date les Bouteflika. Ils ne font pas que s'assurer les faveurs du frère, jusqu'ici omnipotent, du président Bouteflika. Ils le dirigeraient absolument et lui dicteraient parfois même la conduite à suivre dans la gestion des affaires économiques du pays et bien au-delà. Eux, ce sont les membres de la famille Kouninef. Et c'est bien en ces termes que l'on évoque habituellement ce patronyme dans les milieux politiques et les cercles d'affaires algériens. Richissimes, très puissants et très influents aux plus hauts sommets du pouvoir, ils seraient ainsi ce côté le plus obscur du régime finissant de Bouteflika ; que tout le monde ou presque redoute jusqu'à éviter, même parfois, d'en citer, ne serait-ce que le nom. Karim, le frère aîné, Noah-Tarik, Souad, mais aussi et surtout Redha — le frère cadet — et leur mère, Mme Kouninef Rose Marie Lislote Horler, à qui certains prêtent même quelques accointances avec des lobbies israélites… dont ils finançaient et géraient régulièrement et avec zèle les campagnes électorales. Ils formeraient, eux et leurs alliés, cette espèce de "famiglia", d'oligarchie si puissante et si proche de très longue date, du président Bouteflika, depuis le tout début de cette ère politique qui désormais finit… Le cœur même de cette fameuse "casa d'El-Mouradia", comme la qualifient si bien les nouvelles générations d'Algériens, en parodiant la série à succès de Netflix, La casa de papel, qui met en scène des pratiques et des cercles mafieux aussi nuisibles que sophistiqués. Au fil des mandatures présidentielles, les Kouninef seraient devenus l'éminence grise, le noyau d'un système véreux, le cœur même d'un régime politique faisant la part belle à la corruption et à la prédation économique, ouvertement et impunément. Or, le mur de la peur étant désormais brisé depuis le déclenchement du mouvement populaire du 22 février, le poids, le rôle et les affaires plus que douteuses des Kouninef sont, depuis, régulièrement mis en lumière, dans "la rue", comme sur les scènes politique et médiatique. Car, bien plus que la simple éviction du président Bouteflika lui-même, c'est le régime tout entier, dans toutes ses composantes et avec tous ces appendices et ses satellites, que le peuple a décidé d'évacuer en manifestant massivement et en se réappropriant pacifiquement les espaces politique et public. Les Kouninef, Rédha en premier, sont, dès lors, désignés comme l'une des faces les plus sombres et les plus à redouter de ce régime. Des oligarques dont on ne connaît que très peu le visage, mais que l'on sait aussi manipulateurs et influents sur Saïd Bouteflika que celui-ci sur son propre frère malade et cérébralement impotent pour gouverner au sommet de l'Etat. Evoquant une famille ayant "une influence considérable sur le clan présidentiel", Djamel Zenati, l'une des figures les plus en vue de la lutte pour la démocratie en Algérie, n'a pas hésité, lors de sa récente intervention au Forum de Liberté, à aller jusqu'à alerter sur l'existence même d'un véritable danger sur la sécurité du pays, en allusion au pouvoir des Kouninef. Louisa Hanoune, mais aussi Mokrane Aït Larbi et bien d'autres acteurs de la scène politique nationale y font également souvent allusion ces dernières semaines, en dénonçant le régime des Bouteflika, l'oligarchie qui accapare les richesses de la collectivité nationale et même des soupçons de fuites de capitaux colossaux en devises auxquelles s'adonneraient ces oligarques depuis le début du mouvement de contestation populaire contre le régime. D'autres affaires scabreuses mettant directement en cause les Kouninef, dont un préjudice financier énorme causé à Algérie Télécom et d'éventuelles lignes de crédits suspectes qui auraient été débloquées tout récemment à leur profit, sont, du reste, régulièrement évoquées ces derniers jours à travers les réseaux sociaux et les médias nationaux. Depuis près de deux ans, les Kouninef, qui dirigent un groupe diversifié et puissant grâce, surtout, aux marchés publics et aux largesses du pouvoir, sont également dénoncés pour leurs velléités de s'arroger un monopole de fait sur le marché de la trituration de graines oléagineuses, usant pour cela de leur influence au sein du clan présidentiel pour bloquer des projets concurrents dans la même filière et pour accéder à des financements colossaux auprès des banques publiques. Plus d'une vingtaine de milliards de dinars ont ainsi été alloués au groupe Kouninef par un consortium de banques étatiques pour financer un projet d'usine de trituration dont le coût annoncé serait très fortement surévalué en comparaison à d'autres projets concurrents lancés dans la même filière. Quoi qu'il en soit, entre ce qui est colporté sur la place publique et ce qui forge réellement leur réputation d'oligarques très influents, les Kouninef, de par leur étroite proximité avec le clan Bouteflika depuis plusieurs décennies, figurent aujourd'hui, à n'en point douter, parmi les forces les plus obscures et les plus ciblées par la défiance et la contestation populaires qui s'expriment contre le pouvoir. Akli Rezouali