Malgré toutes les garanties présentées à l'Etat, l'industriel algérien est obligé de stocker sa cargaison dans un port européen. Pour justifier ses refus répétitifs, l'Entreprise portuaire de Béjaïa renvoie à des arguments juridiques qui dépassent largement son champ de compétences. Puis, apparemment à court d'arguments, la société, qui dépend du ministère des Transports, a recommandé au groupe agroalimentaire de «choisir» un autre port pour décharger sa marchandise. Avant d'arriver aux affaires, Ahmed Ouyahia avait critiqué la position de l'EPB. L'actuel Premier ministre avait estimé qu'il y avait «une autre manière» de traiter ce conflit. Laquelle ? Aucune explication n'a été donnée. Aucune autorité publique n'est apparemment en mesure de débloquer une situation qui va pourtant à contre-courant du discours officiel qui appelle à la facilitation des conditions d'investissement. Ce sont ces incompréhensions qui poussent des observateurs à se poser la question sur la main invisible qui serait derrière ce blocage. Au sein du ministère des Transports, on évoque désormais ouvertement le nom de celui qui serait l'auteur de la situation. Selon certaines sources, le patron de KouGc, Réda Kouninef, aurait utilisé ses liens privilégiés avec des cercles du pouvoir, notamment le conseiller et frère du président de la République, Saïd Bouteflika, pour bloquer des équipements de Cevital. La raison ? Kouninef, qui a racheté au milieu des années 2000 la raffinerie d'huile d'Alger, a acquis des équipements pour l'installation d'une usine de trituration de graines oléagineuses à Jijel. Il est donc devenu un concurrent de Cevital. La seule différence est que celle acquise par ce groupe est d'une capacité de 11 000 tonnes par jour et elle est multi-graines. Elle a coûté au groupe agroalimentaire près de 40 millions d'euros, payés par Cevital. L'unité acquise par KouGc est d'une capacité de 4500 tonnes par jour et elle ne peut traiter qu'un seul type de graine. Sauf que le montant de son acquisition est spectaculaire : l'homme d'affaires a en effet bénéficié d'une ligne de crédit, accordée par des banques publiques, d'un montant qui avoisine les 200 millions de dollars. Aucun argument légal Les soupçons se sont portés sur Réda Kouninef, lorsque l'EPB a adressé à Neschco, le transitaire public, un courrier, daté du 21 novembre 2016 (qui renvoie à une autre correspondance qui date de juin 2016), dans lequel il rappelle que «le débarquement de tout colis appartenant au client Cevital doit faire l'objet d'un accord écrit au préalable de l'entreprise portuaire, avec précision du nombre de colis, leur nature, leur volume, le tonnage unitaire et la destination finale», indique le document. Pourtant, au sein de Cevital, à cette date, aucune demande n'avait encore été faite. Comment l'EPB a donc su que le premier groupe privé algérien était sur le point d'acquérir des équipements ? Certains cadres de la société ont fini par découvrir que la seule personne qui était informée de cet achat, en dehors de la Banque d'Algérie qui a délivré les autorisations nécessaires, est le patron de KouGc qui, lui aussi, a commandé les équipements chez le même fournisseur que Cevital . Depuis, l'Entreprise portuaire de Béjaïa ne veut entendre aucun argument venant de Cevital. Des correspondances échangées entre les deux parties – dont nous détenons des copies – démontrent pourtant que la société a répondu à toutes les exigences de l'EPB. En vain. Ces blocages ont même fini par agacer non seulement les responsables de Cevital, mais également la société civile locale. Des députés, responsables associatifs et d'autres militants ont organisé des manifestations au sein de la ville de Béjaïa pour dénoncer les blocages du plus grand investisseur de la région. Des députés de la région ont interpellé les autorités locales et centrales. Sans résultat. Pourtant, le projet de Cevital est alléchant. Une fois mise en service, l'unité de trituration de graines oléagineuses créera 1000 emplois directs et des milliers d'autres indirects. Le groupe entend même encourager, à moyen terme, les céréaliers à cultiver les graines ici en Algérie pour éviter d'en importer. Tout comme l'ETRHB, l'entreprise des frères Kouninef, qui, contrairement à Ali Haddad, agit dans l'ombre, a bénéficié ces dernières années de beaucoup de projets publics. L'entreprise a un carnet de commandes qui va des grands transferts d'eau aux hôpitaux, en passant par le métro d'Alger pour lequel KouGc a obtenu au moins deux marchés qui dépassent 110 millions d'euros chacun. Réda Kouninef et son frère, Karim, font également partie des hommes d'affaires les plus proches de Saïd Bouteflika. Ils comptent d'ailleurs parmi les plus grands contributeurs à la campagne présidentielle de Abdelaziz Bouteflika depuis 2004. Leur père était un ami proche du chef de l'Etat. Nous avons tenté de joindre Réda Kouninef afin d'avoir sa version des faits. En vain.