Sur la dernière placette, des étudiants s'affairent autour d'une structure métallique et de vieux journaux pour réaliser une œuvre sur le thème de la "harga" (émigration clandestine) et qui sera dévoilée au terme de ces trois journées. Recouverts de suie et de peinture, jeunes habitants et enfants du quartier de Soustara dans la Casbah d'Alger mettent la main à la pâte avec les artistes peintres et sculpteurs venus bénévolement "donner quelques couleurs" à la vieille cité et y insuffler une dynamique d'entraide communautaire. "Nous faisons ce que nous pouvons pour donner un coup de main aux bénévoles venus réhabiliter notre quartier, tout en apprenant à travers ce qu'ils nous demandent de faire...", lancent de jeunes habitants de la Casbah qui découvrent la forge avec la sculpture sur métal de Abdelghani Chebbouch. Se joignant à l'initiative citoyenne "L'art est public", l'artiste a déplacé une partie de son atelier sur cette placette de Soustara pour réaliser une œuvre d'art, la première du genre dans ce quartier populaire. La forge, les sacs de charbon, l'enclume et les gros marteaux de l'artiste céderont bientôt la place à une sculpture métallique, objet de la curiosité des enfants du quartier, impatients de voir le résultat final et qui pressent l'artiste de questions à mesure que son travail progresse. Trois jours durant (du 1er au 3 mai), un collectif d'artistes et d'étudiants de l'Ecole des beaux-arts s'emploie à exécuter un programme d'activités culturelles et communautaires dans ce quartier populeux dépourvu de la moindre infrastructure culturelle. L'initiative "L'art est public", lancée en 2017 dans un bidonville de Béjaïa, s'est tenu simultanément dans les villes d'Alger, Jijel, Skikda, Laghouat ou encore Blida. Avec le concours des habitants, "Esdjiwrat" —nom des trois placettes avec leur petit stade —, ont été nettoyées et les murs repeints en blanc pour accueillir les fresques réalisées par l'artiste peintre Ali Hafiane et les étudiants de l'Ecole des beaux-arts auxquels se sont associés enfants et jeunes du quartier. "Ces volontaires sont venus réhabiliter notre quartier et nous sommes obligés de participer, d'apprendre et de continuer à nous occuper de notre espace", confie un riverain qui s'est improvisé photographe le temps de l'événement. Sur la dernière placette, des étudiants s'affairent autour d'une structure métallique et de vieux journaux pour réaliser une œuvre sur le thème de la "harga" (émigration clandestine) et qui sera dévoilée au terme de ces trois journées. Les étudiants ont décidé d'explorer ce phénomène dans une sculpture métallique représentant une embarcation de fortune et des figurines de jeunes qui ont tenté la traversée de la Méditerranée. Le quartier est lui aussi endeuillé par le drame de quelques-uns de ses enfants disparus en mer.
Se réapproprier l'espace public et restaurer l'humain D'autres formes d'art ne sont pas en reste : slam, ateliers d'écriture et de dessin ont investi le quartier à la faveur de cette initiative citoyenne qui inclut un programme d'initiation aux pratiques écologiques et aux réflexes anti-gaspillage à l'attention des habitants. Le programme de trois jours vise particulièrement à "se réapproprier l'espace public et à impliquer et responsabiliser le citoyen dans son quartier", confie Kenza Beldjilali, coordonnatrice pour Alger de l'initiative. Son vœu le plus cher est de "pérenniser" ce genre d'action dans une cité classée au patrimoine mondiale de l'humanité, mais laissée dans un "état d'abandon affligeant", se désole-t-elle. Le citoyen, qui a perdu confiance en tout programme de réhabilitation, peut "prendre en charge lui-même son environnement immédiat" et ouvrir le champ aux artistes pour "redonner une vie culturelle et recréer les liens sociaux". Ce centre historique doit être sérieusement pris en charge au plan du bâti comme au plan humain afin de recréer les liens sociaux distendus suite à la disparition des lieux de rencontre, l'absence de structures sociales et le délabrement avancé de l'environnement, dit-elle. Restaurer l'humain, c'est aussi la contribution "modeste" d'Idir Fares, psychologue de formation. Conteur et animateur des ateliers de dessin et d'écriture à la faveur de cette initiative, il est directement confronté au mal-être qui ronge les habitants du quartier. Un "véritable malaise social et une absence de perspective" : voilà, résume-t-il, ce que reflètent les textes collectés élaborés par ces habitants, tandis que les dessins des enfants, traduisent, eux, un "traumatisme et (un) sentiment d'insécurité" devant la menace d'un effondrement de maisons qui peut survenir à tout moment vu la fragilité et la vétusté des immeubles dans ce quartier.