Le site subit à chaque édition de considérables agressions, en témoignent les dalles cassées sur la voie décumane. Des vestiges endommagés par les tracteurs et les camions qui circulent dans le site avant et durant le festival, constatent les archéologues. Si la capacité d'accueil du théâtre romain a été arrêtée à 2 500 spectateurs, le chiffre a été doublé, on parle même de 70 000 spectateurs lors de la quatrième soirée.Longtemps absents du terrain, les responsables du patrimoine au département de la Culture sont enfin descendus de leur tour d'ivoire des Annasser pour faire l'état des lieux du site de Timgad. À cet égard une équipe de l'Agence nationale d'archéologie (ANA) a été dépêchée pour faire le constat. L'occasion, le 27e édition du Festival international de Timgad, car il faut le souligner, la manifestation revient chaque année pour relancer la polémique de la protection de patrimoine historique et archéologique. Mais pourquoi Timgad, spécialement ? Pourquoi en cette période ? Il n'est pas difficile de deviner la réponse dans la mesure où le site de Timgad est pratiquement le seul exploité sur l'ensemble du territoire national. Les manifestations culturelles et artistiques chez nous se comptent sur les doigts d'une seule main. Après la 27e édition, le festival trouve toutes les difficultés du monde pour s'imposer aussi bien à l'intérieur du pays où seule la population des Aurès est coutumière de ce rendez-vous, qu'à l'extérieur où le manque de médiatisation et l'organisation de dernière minute donnent l'impression que le festival de Timgad est maintenu juste pour dire que le pays se porte bien et qu'il sort pour un court instant les habitants de Timgad de leur isolement. Les responsables du secteur de la culture avancent de nouveaux arguments. “On ne veut pas que nos sites et musées soient des cimetières de la mémoire”, explique M. Betrouni, responsable du département patrimoine, pour qui le festival doit contribuer à la promotion du patrimoine. “Le festival de Timgad ne constitue pas une première en matière d'exploitation de site dans le monde.” Et même si d'aucuns ne diront pas le contraire et que Timgad ne fait pas l'exception, hélas, il reste l'unique site au monde à ne pas bénéficier de restauration. Pour rappel, les derniers travaux remontent à l'époque coloniale, même si le site est classé patrimoine mondiale depuis 1982 par l'Unesco, dont l'Algérie est un des plus importants pays en matière de cotisation. Or, chargée d'histoire, Timgad a été fondée en l'an 100 après J.C. sous le règne de l'empereur Trajan, sur la longue voie romaine qui longe les Aurès par le nord, l'antique Thamugadi sur ses 83 hectares se dresse avec fierté, défiant le temps et la bêtise des hommes pour raconter l'histoire. Le site est une merveille qui cherche sa vocation, une belle page d'histoire, auxquelles des habitations modernes sont, malheureusement, venues se greffer dans les années 1990, une véritable agression visuelle. Mais Timgad est surtout une longue polémique depuis la relance du Festival international de Timgad. Un festival et un “déchirement” Si la tenue du festival est une aubaine pour les jeunes en quête d'évasion et pour les familles de Timgad et des régions avoisinantes qui trouvent, le temps de ce festival, un semblant d'animation et de fraîcheur pour adoucir la chaleur étouffantes des soirées de juillet, les professionnels et les amis du patrimoine dénoncent avec force cette manifestation. À 35 km du chef-lieu de la wilaya de Batna, Timgad avec ses hivers rigoureux et ses étés caniculaires est, comme toutes les villes de l'intérieur du pays, une ville morte laquelle, en dehors du festival, n'offre rien d'autre. “Timgad, c'est la crève. Il faut partir ailleurs pour "vivre" un peu. Loin de Batna même”, dira Mohamed, la vingtaine. Le jeune homme est chômeur de son état. Heureusement qu'il y a le festival ? Pas nécessairement ! Car, il faut d'abord avoir les 500 DA, pour ne pas dire les 700, indispensables à l'achat du billet, et quand on est chômeur la chose relève de la mission impossible. Mais pas question de rater une Diana Haddad ou un Houari Dauphin, de passage à Timgad. “Saber Rebaï, Diana Haddad, Kazem Essaher, Assala, Cheb Hassen, même s'il n'est pas venu cette année, c'est le rêve pour beaucoup d'entre nous”, ajoutera Mohamed. Et le patrimoine dans tout cela ? Comme tous ses pairs, le jeune homme sait que les vestiges de Timgad comme ceux de Lambèse, Imedghassen, Zana, Ichoukane, Ghoufi… constituent une richesse pour la région. “Nos parents nous parlent de touristes qui venaient, autrefois, par milliers visiter ces vestiges, mais nos responsables n'ont rien fait. Ils n'ont même pas pensé à construire des hôtels, puis il y a eu le terrorisme. Maintenant que le calme est de retour, on pourrait faire beaucoup de choses, ça nous permettra de travailler”, conclut Mohamed, exacerbé par la présence des “touristes locaux, qui viennent faire leur festival sans aucun contact avec les gens d'ici”. Timgad, un patrimoine en péril ? Si des efforts ont été consentis pour assurer un minimum de protection au site, beaucoup reste à faire pour le préserver. Parmi les dispositions prises, on notera : le tracé d'itinéraires et la pose de barrières de protection et de haies, le renforcement d' un dispositif sécuritaire afin de canaliser la vague humaine qui empreinte chaque soir le chemin du forum romain. “Deux itinéraires sont clairement délimités, le premier est réservé aux jeunes et il va du Decumanus Maximus vers les tribunes supérieures en contournant le forum, alors que le deuxième est réservé aux familles. On a également surélevé la clôture des deux portes principales, amélioré l'éclairage dans et autour du site, aménagé l'adduction d'eau potable à l'intérieur du site ainsi que la mise en place d'une infrastructure de services communs d'hygiène et de santé, et le désherbage”, soulignent les responsables locaux et ceux du ministère de la Culture. Dans les allées, des avis soulignant le règlement intérieur sont placardés tout au long du chemin menant vers le théâtre. Si la capacité d'accueil du théâtre romain a été arrêtée à 2 500 spectateurs, le chiffre a été doublé, on parle même de 70 000 spectateurs lors de la quatrième soirée, le directeur du patrimoine en personne conviendra que “la scène du forum ne peut plus accueillir les artistes”. À cet effet, on évoque la possibilité de construire une scène fixe. Un avis qui est loin d'être partagé par certains professionnels et amis du patrimoine qui préconisent le déplacement du festival en dehors du site. Dans une lettre rendue publique à quelques jours de la 27e édition du festival et intitulée “Le site de Timgad va encore subir le “festival””, des professionnels et des amis du patrimoine reviennent à la charge pour dénoncer les agressions que subit Thamugadi à chaque festival. “Des centaines de moellons sont détachés du théâtre et des murs de la ville antique qui est ainsi défigurée, des camions de gros tonnage et des tracteurs traversent le site et passent sur la voie décumane en occasionnant la cassure des dalles, des équipements sauvages (fontaines, canalisations modernes, cabines, projecteurs) sont aménagés avec du ciment et du béton, dans le site, sans aucun contrôle et sans l'aval des services archéologiques. La scène du théâtre est défoncée régulièrement pour y installer un plancher. Le site est pillé : des chapiteaux et des colonnes antiques sont volés du site pour décorer les habitations, les commerces et les places publiques de Batna”, peut-on lire sur la lettre. Des faits que les conservateurs du site démentent catégoriquement. Même s'il est difficile de prouver le pillage, il serait difficile de croire que les vestiges romains peuvent résister à la charge des camions et autres engins nécessaires pour les préparatifs, ou aux forts décibels émis chaque soir. Si on a procédé au désherbage des principaux espaces où doit se dérouler le festival mais pas plus loin, le forum et les chemins qui mènent vers les sous-sols des thermes où des ordures sont accumulées, tout cela témoigne sur ce à quoi peut ressembler Timgad en dehors du festival. Timgad est une grande énigme dont rares sont ceux qui détiennent la réponse. Qui sont les experts archéologues qui ont tracé la délimitation du site pour faire en sorte que certains vestiges restent à l'extérieur ? Pourquoi n'a-t-on pas procédé à la restauration du site, les dernières remontant à 1962 ? Quelles raisons font qu'en 38 ans d'existence on n'a jamais étudié la possibilité de faire un festival sans nuire au patrimoine ? Pourquoi tout ce décalage entre les archéologues du mouvement associatif et ceux de tutelle ? De nombreuses questions qui ne trouvent pas de réponses et à cause desquelles Timgad reste un riche et beau tableau de l'histoire oublié par les nationaux et ignoré des étrangers. W. L.