"Ils ne veulent plus qu'on dispose de leur destin, qu'on parle d'eux à la troisième personne et comme une collection d'objets animés. Ils veulent parler d'eux-mêmes à la première personne, dire "je", "nous", en tant que personnes libres et constituant un peuple libre. Ainsi l'insurrection algérienne n'est rien de plus, ni de moins, qu'une affirmation d'existence. Les Algériens veulent être les acteurs de leur propre histoire, les responsables de leur avenir et les constructeurs de leur destin." J. M. Amrouche Cette cruelle vérité, assenée par J. M. Amrouche, le 16 mai 1957, au pouvoir colonial, reste d'une actualité manifeste. Pour ceux à qui elle s'impose, l'histoire se répète et, cycliquement, s'annonce et se joue une parodie de plus. Le burlesque et l'insensé ne finissent pas d'ébranler le champ politique déjà fragilisé, voire laminé, avec comme constante : vouloir faire du neuf avec de l'usé. Ainsi, toutes les parties sont conviées au dialogue, cette fois-ci avec les institutions. Quoi de neuf ? Ce n'est pas clair du tout et personne ne semble saisir les contours de la nouvelle offre, hormis les adeptes de l'étayage de ce qui vient des entrailles du pouvoir, les lèche-bottes et les initiés à la prosternation dont la raison d'être se colle en sangsue à la survie politique, aux privilèges et à la peur de comparaître devant la justice pour rendre compte de leur honteuse contribution au crime généralisé. Il est vrai que le dialogue est une vertu et un préalable aux voies menant à la paix, et à ce titre, il intègre le registre des qualités et valeurs humaines. Mais, quand le système de gouvernance n'est plus qu'un attelage de corrompus et de corrupteurs où les liens ne valent que par les transactions douteuses incubées dans les espaces institutionnels de pseudo-représentants du peuple, que reste-t-il de la noblesse du dialogue, si ce n'est une coquille vide agitée à tout-va, tonnant l'inquiétude. Toutefois, ce énième appel soulève moult questions sur la volonté réelle des tenants du système à dialoguer, les questions à l'ordre du jour, les objectifs et la crédibilité de l'invitation à de nouvelles joutes de dialogue qualifié de constructif. Ne serait-ce pas une trappe et un autre essai de fragmentation du mouvement ciatoyen après des tentatives faites de menaces et subterfuges surannés pointant la division et l'atteinte à l'unité nationale qui relèvent à jamais du registre du déjà-vu et entendu ? Le pouvoir a toujours dialogué avec ses clients De tout temps, le pouvoir feint de dialoguer, souvent à l'insu et sur le dos du peuple. Il a toujours dialogué avec ses clients et satellites, ces groupuscules politiques et corpuscules associatifs s'abreuvant à la sève de la mamelle publique, pour légitimer ses actions et réformes inachevées. Il vient même de dialoguer avec son épave lors du dernier simulacre auquel a convié la chefferie de la République et avant, le Premier ministère. Les résultats restent toujours identiques et concourent souvent à sa pérennisation. Mais avec qui veut-il dialoguer cette fois-ci ? Quels sont les partenaires à convier ? On évoque souvent la société civile. De quelle société civile s'agit-il devant le peuple qui se lève en bloc, quand on sait que celle-ci n'existe que par les auto-désignés clients privilégiés du système, sollicités aux occasions pour acclamer et approuver les décisions et réformes de son excellence. Ensuite, avec quelles institutions le peuple ira-t-il dialoguer : l'institution militaire, la Présidence, le gouvernement, les chambres parlementaires ? En tout cas, ces trois derniers segments de la gouvernance souffrent d'un déficit chronique de légitimité et sont décriés, voire honnis par le peuple qui ne cesse de crier à leur éviction et dissolution. Entamer un dialogue avec eux, ce serait leur accorder du capital-confiance et de la légitimité et donc, refaire la virginité perdue aux partis qui vouaient au pays le chaos en soutenant mordicus, avec leurs acolytes du patronat et du syndicat historique kidnappé, un cinquième mandat au candidat à l'impotence évidente. Curieusement, ceux-là ne sont pas taxés aujourd'hui d'ennemis de la nation et de parties qui ont défié le peuple et semé la discorde au mépris de sa volonté ! Peut-on alors dialoguer avec les tenants de l'humiliation, voire de la trahison de leurs concitoyens ? Si raison, justice et sincérité il y a, ces colporteurs de faux devaient s'effacer de la scène publique et faire l'objet de poursuites judiciaires pour avoir attenté à l'intégrité des institutions phares et soutenu le péril en le pays en voulant continuer le processus de pillage de ses ressources par une caste de vampires, et hypothéquer l'avenir des générations montantes. Reste l'institution militaire, laquelle en déclarant se limiter à ses prérogatives et missions constitutionnelles doit être garante de l'engagement du processus démocratique dans des conditions sécuritaires acceptables avec un rôle d'observateur. À cet effet, elle est censée observer le principe de neutralité. Mais l'expérience montre que ce principe est brisé par les fréquents discours de son premier responsable et des incursions récurrentes dans les champs politique et des compétences d'institutions tierces de l'Etat. La tendance est corroborée par l'usage récursif de ce ton jussif et de la balance des jugements d'Anubis pour cataloguer les bons et les mauvais acteurs politiques, les amis et les ennemis du peuple, les adeptes de la sagesse et ceux de la déraison, les jaloux de l'unité nationale et les incitateurs à la division, les actes constructifs des décideurs et ceux délirants des semeurs de la discorde, bref le paradigme de l'opinion la plus juste et de l'opinion la plus dépravée, sans omettre la sempiternelle main de l'étranger et autres mythes du complot. Cette rhétorique dualiste et virulente s'appelle, du moins en musique et en mathématiques, une partition. Et, dès qu'une voix politique exprime une opinion contradictoire ou une issue à la crise ne cadrant pas avec les réticules du viseur officiel, il est vilipendé et traité de strigidé, de comploteur et autres épithètes dégradantes, polluant ainsi le philtre de la sagesse et de la sérénité que l'on entend promouvoir. Le principe de neutralité est ainsi violé par le forcing de la porosité de l'interface entre les champs politique et sécuritaire. Le principe de la neutralité violé Du coup, les séquences développées en réponse à la demande citoyenne se heurtent à la sénescence des logiques des relations et des représentations entre la rigidité d'une institution forte et la souplesse d'un mouvement déterminé, et visent à gagner du temps et user les patiences. Elles convergent vers la réincarnation des partis désagrégés en de nouvelles formes pour redonner corps, par la voie de l'allégeance, à la pieuvre systémique de mener le dialogue et l'élection présidentielle comme de coutume. La dynamique du ravalement d'entités politiques disloquées et de consolidation de la clientèle du système se confirme par la délivrance précipitée de l'autorisation de réunion du comité central du FLN et le nombre inhabituel de reçus délivrés à la hâte à de nouveaux partis et associations par le ministère de l'Intérieur. Ce seront autant de partenaires-clients qui paveront sûrement les gradins du dialogue prochain pendant que des dossiers de partis et syndicats ayant sollicité l'agrément lors du passage de l'actuel Premier ministre au ministère de l'Intérieur, moisissent dans les boîtes d'archives. Les médias publics ne sont pas en reste avec le retour à la langue de bois et commentaires adaptés au discours du système, favorables à sa régénération. C'est ce que signifient aussi l'agitation autour du chef de l'Etat qui a reçu les épigones de l'APN et du Sénat, ces confirmations d'appui au dialogue et la visite du ministre des Affaires étrangères au royaume saoudien. Les vieux réflexes sont bien de retour et la perspective de fractionnement du mouvement citoyen s'envisage à travers la grande manœuvre du lifting du système. On limoge à perte de vue pour simuler la mue, pendant que les loups courent toujours et leurs comparses qui ont orchestré la faillite de l'économie du pays ne sont pas inquiétés. C'est plutôt l'investisseur le plus crédible qui fait les frais du réveil soudain d'une justice aux ordres, au cours d'une présumée campagne de lutte contre la corruption. Mais au final, l'appel au dialogue risque de connaître encore la sentence de Corneille, un combat qui cessera faute de combattants. En tout cas, en l'absence de partenaires crédibles, et telles que se dessinent les choses, il risque de ne pas y avoir de joutes de dialogue émancipé à l'horizon. Cela étant, le peuple a clairement exprimé ses revendications et sa volonté d'en finir avec les rebuffades, la pseudo-représentation et les délits de spoliation. Il ne peut s'exprimer qu'à travers des institutions démocratiques élues et représentatives tout en réfutant le tutorat à travers des voix autoproclamées, désignées, des parties qui soutiennent impudemment les propositions du système. La rue parle et exprime ses revendications. Elle appelle à être entendue et un smig doit être observé et réalisé par ce système qui peine à garder constance et sincérité dans ses déclarations et son algorithme conduisant à la refondation de la République dans tous ses plis. Plus les revendications s'affinent, s'affirment et se consolident du côté citoyen, plus le doute s'installe en face et les réponses restent identiques, réduites aux propositions de dialogue et de consensus épicées de menaces et autres sous-entendus, risques de déflagration pouvant mener à l'irréparable. Il en est même qui évoquent parfois le bain de sang mettant en défiance la maturité et le caractère sain et pacifique du mouvement citoyen. Cette option cataclysmique très vendue par les tenants du statu quo, promoteurs du cinquième mandat, a toujours été le catalyseur de la survie du système qui agite le sceptre de protecteur et garant de la stabilité tout en affirmant que sans cela, c'est le chaos. Pourtant, l'ardeur et l'obstination à perpétuer le règne insipide ont été vite balayées et le chaos tant clamé et souhaité n'a pas eu lieu. Aujourd'hui, la situation qui n'est pas pour autant sans issue, se complexifie davantage tant, d'un côté, la sérénité appuie la volonté d'en finir avec le système et, de l'autre, l'entêtement à vouloir maintenir l'idée de l'unique voie de sortie de l'impasse, équivalent au parrainage de la rupture par ceux qui ont programmé la déliquescence du pays, la continuité et la pérennité de la matrice systémique qui les a secrétés. Un conseil de refondation démocratique Face à cette situation de crise constitutionnellement insoutenable et un face-à-face qui a pour l'instant peu de lieux de convergence, du moins sur les préalables fondamentaux pour en sortir, il ne reste plus qu'une issue envisageable et souhaitable : la démission en bloc des détenteurs des rênes des institutions politiques de l'Etat, d'autant plus que leur légitimité constitutionnelle est fragile et que le peuple exige expressément et nommément leur départ. Place alors à la mise en place d'un conseil de refondation démocratique dont les démembrements assureront le fonctionnement des services publics majeurs pour organiser les élections législatives et communales, doter ainsi le pays d'institutions crédibles où seront assises la participation et la représentativité du mouvement citoyen et enfin, une présidentielle sereine. Toute alternative précipitée et imposée par les ventouses des tentacules de la pieuvre systémique des 20 ans de règne sans partage et de mégalomanie, ne serait qu'un échec qui mènera plus à l'opacité qu'à l'avenir meilleur promis aux jeunes générations. Les principes de démocratie et de légitimité seront ainsi consacrés à la base et non dictés par le sommet d'une pyramide viciée érigée pour satisfaire les instincts des constructeurs de l'école de la corruption multiformes. Cette voie lissera l'argumentaire de la théorie du complot des ombres et des marionnettes qui se jouent de la dignité du peuple, et permettra d'être en résonance avec la demande sociétale explicite, totalement aux antipodes de la résurgence d'une ère révolue.