Le mouvement populaire durant les trois derniers mois a exprimé sans cesse une volonté de rupture totale avec un régime politique en place qui arrive à terme avec à la main une constitution contenant plusieurs lacunes, ce qui a rendu les solutions rarissimes à cette crise. Le mouvement populaire qui s'est manifesté à travers la révolution citoyenne a bien montré qu'il a perdu confiance dans le monde politique qui a géré l'Algérie durant les vingt dernières années. Il a tout simplement dit non au cinquième mandat et non à une programmation du projet d'élection présidentielle sous l'égide de la même structure politique et des personnalités politiques décriées qui sont toujours responsables de la chefferie de l'Etat, de la présidence de l'assemblée populaire nationale et de la présidence du conseil constitutionnel... En effet, il y a eu moins de temps dans les manifestations pour réaliser l'annulation du cinquième mandat que pour réaliser le deuxième objectif, qui est celui d'organiser des élections tout simplement assurées par des personnes neutres, ce qui rend aujourd'hui incompréhensible cette persistance au nom de la constitutionnalité et au détriment des enjeux et des défis politiques. Il parait que ce mouvement populaire est en train de militer pour construire une république qui serait considérée comme l'autogouvernement du peuple. Dans cette république réclamée, chaque citoyen doit être consulté sur les choix publics, et écouté dans ses demandes politiques. Il est important aujourd'hui de prendre en considération ses cris alarmistes pour « enfanter cette république ». Cet autogouvernement du peuple qui doit être mis en œuvre et appliqué grâce aux articles 7 et 8 de la constitution actuelle implique l'idée de l'Etat, lieu de l'exercice de la souveraineté populaire. Si le devoir de la république est de préserver la liberté de chaque individu algérien de toute intercession arbitraire intérieure ou extérieure, il sera sage politiquement de bien l'entendre et de répondre à ses revendications sans tarder à la réalisation de son projet de démocratisation et de républicanisme. D'où vient d'abord l'idée de « démocratique-républicaine » et que signifie-elle précisément ? Tout d'abord, la république, du latin « res publica », la chose publique, incarne la liberté politique contre l'arbitraire : parmi ses thèmes, comme le signale Serge Audier dans « Les théories de la république » publié en 2004, on trouve le primat de l'intérêt commun sur les intérêts particuliers, le gouvernement des lois et d'action, la vertu civique. Le républicanisme peut apporter des réponses aux difficultés de n'importe quelle société en processus de démocratisation, marquée par la crise du lien social et politique. Ensuite, la démocratie, selon Philippe Braud, dans son ouvrage « Science politique : la démocratie » est à la fois un idéal de référence, mobilisateur de rhétorique et de projets politiques et un gouvernement effectif, fondé plus modestement sur des procédures d'élection et de négociations. En politique, la démocratisation est le processus qui permet à un régime d'évoluer vers une démocratie ou de renforcer son caractère démocratique : la séparation des pouvoirs, l'indépendance de la justice, l'alternance démocratique par la voie d'élections libres et transparentes... Il s'agit alors d'un changement de système politique possible, par contraste avec une transition démocratique, c'est-à-dire le passage progressif à un Etat de droit. D'autres appellent cette transition démocratique les éléments d'un passage aux fonctionnements connus d'une réelle démocratie. Mais ces idées sont bien citées à travers le premier article de la constitution qui stipule que « L'Algérie est une République Démocratique et Populaire... », et aussi citées à travers le préambule de la constitution qui, permettez-moi de vous transcrire le texte, évoque que « Le peuple entend garder l'Algérie à l'abri de la Fitna, de la violence et de tout extrémisme, en cultivant ses propres valeurs spirituelles et civilisationnelles, de dialogue, de conciliation, et de fraternité, dans le respect de la Constitution et des lois de la République. Ayant toujours milité pour la liberté et la démocratie, et attaché à sa souveraineté et à son indépendance nationales, le peuple entend, par cette Constitution, se doter d'institutions fondées sur la participation des citoyens à la gestion des affaires publiques et qui réalisent la justice sociale, l'égalité et la liberté de chacun et de tous, dans le cadre d'un Etat démocratique et républicain (...) La Constitution est au-dessus de tous, elle est la loi fondamentale qui garantit les droits et libertés individuels et collectifs, protège la règle du libre choix du peuple, confère la légitimité à l'exercice des pouvoirs, et consacre l'alternance démocratique par la voie d'élections libres et régulières. La Constitution permet d'assurer la séparation des pouvoirs, l'indépendance de la justice, ainsi que la protection juridique et le contrôle de l'action des pouvoirs publics, dans une société où règnent la légalité et l'épanouissement de l'Homme dans toutes ses dimensions ». Mais le problème à souligner ici est que la constitution n'a jamais été respectée totalement et cela à plusieurs reprises et elle n'a jamais fait l'objet de cette loi fondamentale qui protège la règle du libre choix du peuple, et qui consacre cette alternance démocratique par des élections libres et transparentes. A travers cette occasion historique, le mouvement populaire est en train de demander à haute voix de lui exhausser ses vœux par la vraie application de la constitution en lui réalisant des élections présidentielles dont le vrai paramètre serait le peuple. En effet, il n'existerait pas de recette magique pour devenir un pays « république démocratique », mais il y a davantage une nécessité de gérer de manière satisfaisante et habile un ensemble de problèmes pratiques inhérents à la réalité du système politique. Il s'agit d'accorder la primauté à la culture politique nécessaire à accepter de faire des renonciations et des dévouements à la patrie pour créer ce que l'on appelle une « adhésion politique ». Il est important de signaler que seule la société partageant certaines valeurs et traditions peut atteindre la démocratie : la nécessité d'une émergence de la démocratie est considérée parfois même comme préalable à un développement économique et social. En effet, le pouvoir en place en Algérie doit s'attacher à identifier les causes et les effets généraux d'une période de transition et doit mettre l'accent sur les formes de gouvernement les plus appropriées pour la consolidation de ce processus de démocratisation et de républicanisme à travers tout d'abord l'ouverture d'un vrai débat politique et ensuite la mise en œuvre d'un « agenda de ce processus ». Aujourd'hui, la phase de transition, malgré les craintes qu'elle suscite, est considérée comme le mal nécessaire pour résoudre l'impasse politique. Il s'agit d'activer le travail politique ou les solutions politiques pour éviter toute complication possible de la crise actuelle. Cette dernière nécessite aujourd'hui une initiative politique qui pourrait être mariée à la logique constitutionnelle devenue comme un obstacle à la réalisation des revendications du mouvement populaire car l'activation à la lettre de l'article 102 de cette constitution a produit un pouvoir avec des personnes décriées. Dans ce sens, cette démocratie exigée en Algérie doit se caractériser par un fonds commun de règles, de mécanismes et de conventions tels que les élections compétitives, périodiques, transparentes et libres pour désigner un représentant compétent et efficace sur la base de la séparation des pouvoirs, le pluralisme politique et syndical, la garantie des libertés individuelles et collectives, et le rôle efficace attribué à la société civile. Quoi qu'il arrive, la légitimité du régime politique algérien doit être garantie par des règles acceptées par les citoyens. Dans ce sens, le régime politique, définit par Jean-Louis Quermonne comme « l'ensemble des éléments d'ordre idéologique, institutionnel et sociologique qui concourent à former le gouvernement d'un pays donné pendant une période déterminée », comporte quatre composantes majeures : le principe de légitimité, la structure des institutions, le système de partis, la forme et le rôle de l'Etat. En effet, la progression de la démocratie doit passer par la réalisation de la légitimité et par le rôle des partis politiques qui doivent participer activement au développement du débat politique à travers un positionnement clair et précis. Il s'agit de dire que la force motrice du débat politique doit être entre les acteurs politiques dans le cadre de la croissance du stock de solutions pour les améliorations de la démocratie et des performances du cadre institutionnel. A ce propos, Douglass North rejoint Hayek qui considère dans son papier « Law, Legislation and Liberty » publié en 1979, qu'il est nécessaire de maintenir les institutions et les organisations pour pouvoir essayer des politiques différentes et des moyens efficaces et supprimer les solutions inadaptées. A partir de là, Douglass North met en évidence plusieurs conditions pour améliorer les performances du cadre institutionnel, conditions qui peuvent être appliquées aux pays ayant des difficultés sur le plan institutionnel. Ces conditions consistent en la compréhension de l'origine des mauvaises performances, une connaissance suffisante des sources de la structure institutionnelle pour pouvoir l'améliorer, la réunion des connaissances dispersées pour parvenir à des améliorations avec des coûts bas, l'existence d'un régime politique viable respectant la mise en place des institutions nécessaires et faisant respecter efficacement les règles pour faire avancer sans cesse le processus de démocratisation et de développement du républicanisme. Il s'agit de dire que pour la réussite de son processus de démocratisation et de développement du républicanisme, l'Algérie doit s'attacher à créer une structure complexe d'institutions efficaces et viables s'inspirant des systèmes modernes sans les copier, tout en préservant les spécificités et la tradition du pays. En effet, l'objectif est la réussite de la transition démocratique qui devra déboucher sur une « deuxième république » et par conséquence l'amélioration des performances politiques. Notons que les structures institutionnelles existantes en Algérie ont engendré des organisations qui ont intérêt à ce que les personnes chargées de ces structures perdurent. Cela est dû aussi aux phénomènes de clientélisme et de corruption qui entrainent un mauvais fonctionnement de la démocratie et des difficultés importantes sur le plan politique comme sur le plan économique. Certes, on assiste actuellement en Algérie à une volonté de combattre ces fléaux, mais si l'Algérie veut aller dans le sens de l'intérêt général et sortir de cette crise politique et institutionnelle, elle peut s'essayer à mettre en place les conditions de Douglass North citées précédemment. Ainsi, il serait judicieux de mettre en place des personnalités neutres et crédibles le plus vite possible à la tête des trois institutions décriées pour organiser des élections libres, transparentes et ayant la confiance du peuple, avec l'installation d'une commission électorale indépendante et compétente pour l'encadrement, le contrôle, l'organisation et l'annonce des résultats du vote. Cela peut être réalisé à partir d'une solution politique provenant de la constitution elle-même. En parallèle, pour la concrétisation de cette élection présidentielle dans le cadre de cette transition, il serait aussi avisé dans le cadre du débat politique de réunir un comité d'experts regroupant des spécialistes issus de la classe politique et de la société civile tels que des politistes, juristes, économistes, sociologues... Ce comité serait chargé d'accompagner ce processus de transition pour éclairer et comprendre l'origine des mauvaises performances afin de les améliorer. Ce comité devra alors être en mesure de formuler des propositions qui conduiraient à commencer à mettre en place un régime politique viable tel que préconisé par Douglass North et vivement souhaité et même exigé par le mouvement populaire algérien. En effet, ce mouvement populaire qui se poursuit depuis maintenant trois mois a bien montré l'exigence d'un changement du régime politique et la volonté d'une démocratisation devant conduire à l'établissement des principes d'une république dans laquelle serait respecté le choix du peuple et l'alternance au pouvoir. Ainsi, le mouvement populaire insiste et ne compte pas laisser passer l'occasion d'une véritable démocratisation qui devra conduire vers plus de liberté, de responsabilité, de justice, d'éthique et de morale. Enfin, et malgré tout, le pouvoir toujours en place en Algérie persiste à vouloir organiser des élections avec les mêmes responsables du système, alors que le mouvement refuse toute élection qui ne passerait pas par une phase de transition courte conduisant à la remise de cette responsabilité aux mains de personnalités indépendantes et crédibles. Mais en agissant contre la volonté du mouvement populaire et sa révolution pacifique, le pouvoir en place ne fait que ternir un peu plus son image. Il doit donc prendre conscience qu'il n'y pas d'élection sans électeurs et pas d'exercice de la politique publique sans débat public. *Professeur-Docteur en sciences politiques ; Docteur en droit ; Titulaire d'un diplôme d'études approfondies en sciences économiques