Au moment où au niveau interne l'on assiste à des luttes souvent sans alternatives crédibles , où le monde traverse des bouleversements politiques, sociaux et économiques, l'Algérie doit tirer les leçons des différents scandales financiers car comment un responsable impliqué directement ou indirectement peut-il être crédible auprès de l'opinion et de ses collaborateurs. Plus grave il donne une image ternie de l'Algérie au niveau international. Etant innocent jusqu'à preuve du contraire, à l'image de ce qui se passe dans les pays développés et même émergents, la pudeur et la déontologie est de se retirer de la fonction gouvernementale pour se défendre en tant que simple citoyen. Car c'est seulement quand l'Etat est droit qu'il peut devenir un Etat de droit » 1. L'affaire Khalifa revient sur la scène après que les anglais aient décidé d'extrader Abdelmoumène Khalifa. Rappelons qu'un dossier de plainte existe au niveau du Tribunal correctionnel de Nanterre (région parisienne). L'affaire concerne non seulement des détournements de fonds mais aussi des délits qui ont mené à la faillite plusieurs filiales françaises de la compagnie aérienne Khalifa Airways et de Khalifa Rent. Or, depuis ce scandale qualifié à l'époque par l'ancien Premier ministre algérien (2007) de hold-up du siècle se sont greffés d'autres scandales dont les montants sont aussi importants, sinon plus importants qui font la Une des journaux nationaux, internationaux et des tribunaux internationaux. Mais est ce que ces pratiques occultes de Khalifa ou d'autres sont-elles le fait d'un groupe limité ou ont-ils pu se réaliser sans la complicité de nombreux acteurs du système? Nous avons pu assister lors du procès Khalifa à l'interpellation de plusieurs ministres dont certains en fonction actuellement ou de leurs proches et du secrétaire général de l'UGTA et ancien président du conseil d'administration (CA) de la Caisse nationale des assurances sociales (CNAS) lors de son audience le 10 février 2007, où il est le seul, il faut lui reconnaitre ce courage, à avoir reconnu avoir procédé aux placements, les autres responsables accusant leurs collaborateurs. 2.- Les différents scandales financiers en Algérie, qui touchent l'ensemble des secteurs publics et privés, la corruption s'étant socialisée, relatés chaque jour par la presse nationale et internationale discréditant l'image de l'Algérie, dépassent souvent l'entendement humain du fait de leur ampleur. Encore que tout Etat de droit suppose la présomption d'innocence afin d'éviter les suspicions et les règlements de comptes inutiles. Comment a t- on pu programmer plusieurs centaines de milliards de dollars de dépenses publiques entre 2000/2014 sans prévoir les mécanismes de contrôle, tant démocratique qu'institutionnel ? Les constats témoignent de la désorganisation des appareils de l'Etat censés contrôler les deniers publics et surtout le manque de cohérence entre les différentes structures en cette période difficile de transition d'un système étatique à une véritable économie de marché concurrentielle. Ces scandales jouent comme facteur à la fois de démobilisation des citoyens par une névrose collective du fait que ces montants détournés sont la propriété de toute la collectivité nationale, et comme frein à l'investissent national et international porteur de croissance et de création d'emplois durables. Cela dénote de l'urgence d'une moralisation de la vie publique, en mettant en place d'autres mécanismes qui évitent que ces pratiques ne se reproduisent. La mise en place de ces mécanismes transparents renvoie à plus de liberté, d'efficacité économique, de justice sociale,(indépendance de la justice), de moralité des institutions et de démocratie. 3.- Certes la corruption a toujours existé dans toutes les sociétés et les différents scandales financiers actuels avec la crise économique le montre clairement, mais en, Algérie rapporté au produit intérieur brut, elle dépasse largement les normes internationales, et chose plus grave, elle s'étend à toute la société. Cela rend urgent la moralisation de la société, surtout de ceux qui la dirigent, impliquant la refondation de l'Etat, pour ne pas dire sa fondation comme entité civile ce qui passe nécessairement par une mutation profonde de la fonction sociale de la politique. Cela implique la fin de l'Etat de la mamelle et celle de la légitimité révolutionnaire afin que le pouvoir de bienfaisance inauguré comme contrat politique implicite par les tenants du socialisme de la mamelle afin de légitimer l'échange d'une partie de la rente contre la dépendance et la soumission politique et qui efface tout esprit de citoyenneté active, ce pouvoir doit céder la place à un pouvoir juste, justicier et de justice. La lutte concrète contre la corruption passe par une transparence totale et une clarté sans nuance dans la pratique politique. Dans toute société où domine un Etat de droit, c'est la norme du droit qui doit reprendre sa place pour légitimer le véritable statut de la citoyenneté. Le passage de l'Etat de «soutien» à l'Etat de droit est de mon point de vue un pari politique majeur car il implique tout simplement un nouveau contrat social et un nouveau contrat politique entre la Nation et l'Etat. Dès lors, la question centrale qui se pose est la suivante : vers quelle mécanique politique se penchera la refondation politique souhaitable reposant sur la moralité. La question qui mérite d'être posée aujourd'hui : est-ce que les pouvoirs politiques algériens successifs de 1963 à 2015 ont édifié un Etat national d'abord et qu'est-ce qu'un Etat national dans le cas algérien précisément car, il faut bien le rappeler, il n'y a pas d'Etat national standard, mais que les équipements anthropologiques intrinsèques qui peuvent modeler le système politique inhérent à chaque situation socio-anthropologique. Le poids de "l'anthropologique" dans l'élaboration du modèle politique algérien renvoie à des constructions historiques de terroirs dont la assabia (relations de clientèles familiales et régionales) est la pièce maîtresse. Or si l'Etat reste une entité assabienne, il risque de péricliter comme le démontre Ibn khaldoun quand son âge politique tire à sa fin dont la cause fondamentale est l'immoralité (corruption) qui tend à dominer toutes les structures de tout pouvoir. Lorsque la valeur travail est dévalorisée, la distribution passive de la rente des hydrocarbures, tant que les recettes sont élevées ne fait que différer ce cycle descendant. D'où l'importance d'institutions crédibles et sans verser dans les règlements de comptes inutiles d'asseoir un pouvoir démocratique reposant sur les libertés. Cela prendra du temps, il ne faut pas verser dans la démagogie, mais il faut commencer s l'on veut éviter cette décadence. N'oublions pas que la démocratisation en Europe, s'est faite sur plusieurs décennies et que comme l'ont montré les prix Nobel de sciences économiques que de nouvelles institutions ont pour conséquence à court terme une décroissance, mis sont porteuses d'une croissance durable à terme. 4.- La refondation de l'Etat ne doit pas être comprise comme une négation de notre identité devant avoir pour objectif la symbiose des relations Etat-citoyens. La prospérité ou le déclin des civilisations de l'Orient et de l'Occident avec ce brassage des cultures à travers le temps, ont montré qu'il ne s'agit pas de renier les traditions positives qui, moulées dans la trajectoire de la modernité, peuvent être facteurs de développement : l'expérience du Japon, de la Chine, de l'Inde et de bon nombre de pays émergents l'atteste, car un peuple sans sa culture est comme un peuple sans âme. La refondation de l'Etat actuellement dépasse et de loin l'aspect technique de la politique. Un Etat fort ne se mesure pas uniquement par une quelconque action sociale et économique, mais aussi par une opposition féconde capable de prendre le relais. Si refondation de l'Etat il y a, ce n'est pas non plus des retouches techniques touchant la réorganisation bureaucratique du territoire. La refondation de "l'Etat algérien" passe nécessairement par la refondation de son esprit (philosophie) et ses lois (règles) pour qu'elles deviennent un Etat droit. Aussi, dans le cadre de cette refondation politique, l'Algérie ne peut revenir à elle-même que si les faux privilèges sont bannis et les critères de compétence, de loyauté et d'innovation sont réinstaurés comme passerelles de la réussite et de la promotion sociale et limiter l'action de l'immoralité et de la "assabia". C'est que les résurgences identitaires et tribales peuvent les conduire à un comportement conservateur, surtout qu'à un certain temps ils ont joui de privilèges importants qui les poussent progressivement à former des lobbys discrets, mais efficaces de blocage pour bloquer les réformes. Depuis la crise de 1986, n'ayant pas tiré les leçons, de l'impact d'une économie rentière où en 2015 comme en 1986, 97/ 98% des exportations sont le fait d'hydrocarbures et 70% des besoins des ménages et des entreprises publiques et privées importés (syndrome hollandais), nous assistons à deux logiques contradictoires au niveau des sphères du pouvoir : la logique rentière dominante mue essentiellement par l' importation et bloquant les réformes de structures et la logique entrepreneuriale minoritaire. Nous assistons paradoxalement à un frein aux réformes lorsque les cours du pétrole s'élèvent et une accélération timide lorsque les cours baissent. 5.- En résumé, c'est seulement quand l'Etat est droit qu'il peut devenir un Etat de droit. Mais ne soyons pas pessimistes quant à l'avenir de l'Algérie. Militons pour une prise de conscience générale de l'urgence du changement, fondement de la stabilité de l'Algérie, qui conditionne la stabilité de toute la région euro-méditerranéenne et euro-africaine le statut quo actuel étant suicidaire. Car, au-dessus de tout, l'Algérie reste un pays dynamique, plein de vitalité, qui se cherche et cherche sa voie. Nous devons devenir des citoyens qui se respectent parce qu'ils se respectent d'abord entre eux d'où l'importance de la tolérance et de débats contradictoires productifs. Aussi, face aux mutations géostratégiques importantes qui se dessinent notamment au niveau de l'Afrique dont fait partie l'Algérie, il est impératif de penser à un nouveau mode de gouvernance dont le fondement est la liberté, au sens large, pour une société participative et citoyenne tenant compte de notre anthropologie culturelle historiquement datée, comme en témoignent les différents cycles de civilisations depuis que le monde est monde. L'affaire Khalifa et bien d'autres dossiers de scandales financiers aussi importants, sinon plus importants, pour ne citer que quelques-uns, comme Sonatrach, l'auto- route Est Ouest- le programme agricole (PNDA)- la BCIA, interpellent tous les Algériens dirigeants et citoyens sur l'urgence de rétablir la morale dans la gestion de la Cité, en fait rétablir la valeur travail fondement de la richesse de toute nation. NB-Abderrahmane Mebtoul -Expert International, Docteur d'Etat En Sciences de gestion (1974), professeur des Universités ancien directeur général des études économiques et magistrat (premier conseiller) à la Cour des Comptes