Pour les Algériens, qui protestent depuis plus de trois mois, il est inconcevable de dialoguer avec les mêmes représentants du système et qui ont fait partie du pouvoir de Bouteflika. Le peuple a répondu à l'appel au dialogue renouvelé trois jours auparavant par le chef d'état-major de l'ANP, Gaïd Salah. Si l'idée du dialogue n'est pas rejetée, du moins pas de manière ouverte, il demeure que les formes et les personnes qu'il doit impliquer, notamment du côté du pouvoir, suscite des appréhensions. "La lil moufaoudhat maâ al-îssaba" (non à des négociations avec la bande au pouvoir), ont rappelé, avant-hier, lors de la marche du 15e vendredi, les manifestants à travers le pays. Par "îssaba", les Algériens, qui protestent depuis plus de trois mois, entendent tout d'abord et principalement le chef de l'Etat, Abdelkader Bensalah, et le Premier ministre, Noureddine Bedoui. Pour eux, il est inconcevable de dialoguer avec ces mêmes représentants du pouvoir qui sont des figures du système et qui ont fait partie du pouvoir de Bouteflika. "Ce n'est pas parce que nous appelons à leur départ depuis maintenant 15 vendredis que nous allons accepter de dialoguer avec eux. Nous ne sommes pas contre le dialogue. Bien au contraire, mais pas avec les 2B (Bensalah et Bedoui) et les autres résidus du système. Si Gaïd Salah veut vraiment sortir le pays de la crise, il n'a qu'à appliquer les articles 7 et 8 de la Constitution, comme il l'avait promis. Ce qui précipitera le départ des représentants actuels du pouvoir. Ce n'est qu'à partir de ce moment-là que nous pourrons accepter de dialoguer avec des personnalités honnêtes et crédibles qui doivent être désignées pour mener la période de transition". Cette déclaration d'un manifestant largement relayé sur les réseaux sociaux est représentative d'un sentiment qui prévaut au sein du hirak. C'est aussi un appel au régime à faire des concessions, comme l'a promis le chef d'état-major de l'ANP qui, à Tamanrasset, a évoqué, pour la première fois, la possibilité de concessions de part et d'autre. "La priorité aujourd'hui est que chacun de nous croit en l'importance d'aller vers un dialogue productif qui permet de faire sortir notre pays de cette phase, relativement complexe, qu'il traverse et assure ainsi la voie vers la tenue des prochaines élections dans les plus brefs délais possible, loin, et je le dis, des périodes de transition aux conséquences incertaines, car l'Algérie ne peut supporter davantage de retard et de procrastination", avait-il, en effet, affirmé, non sans insister sur la "nécessité d'organiser l'élection présidentielle le plus tôt possible". "La solution est entre les mains des Algériens fidèles à leur patrie, et ce sont eux qui trouveront la solution à travers, je le répète, le dialogue qui mène à un consensus et un compromis sur l'impératif de l'organisation de l'élection présidentielle, le plus tôt possible". La question qui se pose est naturellement à quel type de concession le régime entend-il se rendre ? Concédera-t-il le départ des Bensalah et Bedoui que la rue réclame comme préalable à tout dialogue, ou alors se contentera-t-il de lâcher du lest sur des questions techniques relatives notamment aux modalités organisationnelles du scrutin présidentiel ? La supputation est un exercice difficile, tant est que le chef d'état-major de l'ANP, en même temps qu'il réaffirme la nécessité d'aller rapidement vers une présidentielle dans le cadre de la Constitution, n'a pas balisé son engagement concernant la question des concessions. Ce qui laisse le spectre des conjectures ouvert.