Vers 1846, un homme d'une quarantaine d'années, trapu, fort, au teint basané, fit son apparition dans le Titteri. Venu du Gharb, contrée désertique du Sud-Ouest algérien, il s'installe dans la tribu des Adhaoura où il contracte mariage et s'allie aux grandes tribus du Titteri. Cet homme s'appelait Mohamed Lemdjad Ben Abdelmalek, qui deviendra Boubaghla, l'homme à la mule. Le choix du Titteri n'était pas fortuit en raison de sa proximité avec la Kabylie qui restait à ses yeux "une contrée qui échappait encore au pouvoir des infidèles". Cette période coïncide avec la fin de la résistance de l'Emir Abdelkader dont il aurait été un soldat. Selon certaines versions, il figurerait parmi les soldats déportés au bagne de Toulon et de l'île Sainte Marguerite qui furent libérés sur intervention de l'Emir. Suspecté pour ses activités, il fuit Sour El-Ghozlane (Aumale) pour s'installer à la Kalaâ des Ath Abbès. Il effectue un voyage en Libye à la confrérie Darkaoui d'El-Madani El-Misrati. À la Kalaâ, l'érudit musulman prend de l'importance, s'attirant l'hostilité des notables locaux, particulièrement des Mokrani qui commandaient cette région depuis longtemps. Se sentant en danger, et répondant à l'invitation des notables des Ath Mellikech, il décide de partir. Peu à peu, il commence à s'imposer comme le chef de ceux qui veulent défendre leurs territoires contre la colonisation. Une symbiose s'établit entre lui et les tribus du Djurdjura et de la Soummam qui appréciaient son engagement. "Les Kabyles avaient décidé de marcher à ses côtés et les tribus lui firent acte d'allégeance, car elles sentaient que Boubaghla voulait lutter à leurs côtés, en partageant leurs souffrances", peut-on lire sur cette personnalité. Il fixa son quartier général à Ath Mellikech, au bord de l'oued Sahel, dans l'actuelle wilaya de Béjaïa. Il organisa et structura son armée, soutenu par la confrérie Rahmania. Ces années connurent une série de soulèvements, suivis de répressions. Boubaghla combattait les troupes coloniales et leurs suppôts musulmans, y compris le puissant notable Ben Ali Chérif. Il fut blessé à la tête lors d'un combat, en 1852, dans la région des Ouadhias contre les colonnes du général Pélissier. Ayant fait jonction avec la résistante du Djurdjura, Lalla Fatma n'Soumeur, Boubaghla voulut l'épouser. Séparée de son mari Si Yahia Ikhoulaf qui lui refusait le divorce, Lalla Fatma ne put jamais se remarier, quand bien même elle l'aurait voulu. On est en 1854. Boubaghla fut obligé de se replier vers les Ath Mellikech, car il commençait à être en difficulté, en raison d'un certain essoufflement de la résistance, après quatre ans de combats en Kabylie. Le grand chef de guerre reçut des propositions d'exil doré des autorités françaises, pour abandonner la lutte. Revenu à Ath Mellikech, il mourut fin décembre 1854 ou début janvier 1855 (selon les différentes versions des historiens), tué lors de sa poursuite par le goum du caïd Lakhdar El-Mokrani des Ath Abbès qui le décapita et offrit sa tête aux autorités coloniales. L'histoire ne s'arrêtera pas là. Le crâne de Boubaghla, jadis plein d'idées généreuses pour son peuple, finira, comme bien d'autres, dans les réduits du collectionneur de têtes Edmond Vital, directeur de l'hôpital de Constantine. À sa mort en 1874, son frère René Vital remet les têtes des résistants algériens au Museum national d'histoire naturelle (MNHN). Parmi ces crânes figure celui de Boubaghla, portant le numéro 5940, qui se trouve jusqu'à nos jours au MNHN situé au Jardin des Plantes, dans le 5e arrondissement de Paris. Il côtoie les crânes de Cheikh Bouziane des Zâatcha et de Cheikh Boukedida, résistant de Tébessa. Les lecteurs, étudiants et chercheurs curieux d'en apprendre davantage pourront consulter le livre Boubaghla, le Sultan à la mule grise, d'Ali Farid Belkadi, paru en 2014 aux éditions Thala. Un ouvrage très bien documenté.