L'expérience plus que foireuse de la mise en place d'une industrie de montage automobile en Algérie incarne à elle seule toute l'indigence et toute l'inconséquence qui ont caractérisé l'action économique de l'Etat durant ces quelques dernières années. Mauvaise gestion, gabegie et absence de vision à long terme ont constitué ainsi autant de maux qui ont fini par convertir la filière automobile dans son ensemble en un lieu privilégié pour les pratiques très dommageables de corruption et de trafic d'influence. Au commencement même, la mise en place d'une politique industrielle de montage automobile avait pris naissance dans une totale opacité, sciemment entretenue par les hauts responsables de l'époque aux fins de privilégier certains opérateurs de la filière, connus pour leur proximité avec les cercles influents au sein du pouvoir. C'est ainsi que le dispositif réglementaire censé encadrer l'activité de montage de véhicules s'est limité dès le départ à un cahier des charges des plus succincts, concocté presque en catimini en avril 2016 par la tutelle de l'industrie, sous l'ère de l'ancien ministre Abdeslam Bouchouareb. Ledit cahier des charges qui fixe les conditions d'exercice de l'activité de montage de véhicules est resté ainsi «non-publié officiellement, mais distribué directement à certains concessionnaires privilégiés, car proches du pouvoir», témoignent des responsables d'Elsecom, qui, eux, ont été dépossédés de leurs marques au profit d'autres acteurs devenus par la suite les grands magnats de l'industrie de montage automobile, avant d'être finalement rattrapés par la justice. Ainsi ordonnancée au bénéfice d'intérêts particuliers, l'industrie d'assemblage de véhicules a fini par tourner très vite et tout naturellement au fiasco, avec au bout, une déstructuration totale de la filière automobile, des scandales de corruption retentissants, un manque à gagner énorme pour le Trésor public, des milliers d'emplois supprimés et, pour couronner le tout, des dépenses toujours aussi astronomiques à l'importation. De fait, la bilan établi par certains opérateurs du secteur sur l'impact économique du passage de l'importation pure de véhicules neufs à une industrie de montage locale est sans appel : une trentaine de concessionnaires actifs poussés à la faillite, pas moins de 110 000 emplois détruits et des exonérations plafonnées de taxes et de droits de douane qui ont valu aux caisses de l'Etat un manque à gagner de l'ordre de 1,5 milliard de dollars. Qui plus est, les dépenses consacrées à l'importation de kits pour l'assemblage automobile caracolent à plus de 3 milliards de dollars en moyenne annuelle, soit une facture en devises restée aussi "salée" que lorsque le pays se contentait d'importer tout bonnement des véhicules neufs directement de l'étranger. En tout et pour tout, l'expérience de la mise en place d'une industrie locale de montage de véhicules s'avère n'être, en définitive, qu'un immense gâchis, alors que, selon nombres d'acteurs de la filière, les potentialités existent bel et bien pour doter le pays d'un tissu viable d'assemblage et de sous-traitance automobile pouvant atteindre à terme des taux d'intégration très appréciables. Actuellement, comme nous l'explique en dernière analyse l'économiste Ferhat Aït Ali, "il n'y a aucune industrie automobile à préserver ou à démanteler, mais juste la réussite temporaire d'une gigantesque arnaque que ses auteurs auront à assumer sans aucune distinction …".