Apparu lors de la marche de vendredi à Alger et dans plusieurs autres villes du pays, le spectre du recours à la désobéissance civile brandi par les manifestants est appréhendé diversement par les citoyens, si l'on se fie aux nombreuses réactions suscitées sur la Toile. Si l'idée semble emballer certains, ce n'est pas le cas pour d'autres qui redoutent des dérives susceptibles de porter atteinte autant à la cohésion, qu'au pacifisme du mouvement. Même si elle a déjà été éprouvée sous d'autres latitudes, cette forme de lutte pose, cependant, la question de sa faisabilité dans le contexte politique actuel. Mais tous sont unanimes à y voir une forme d'"agacement" du mouvement, qui en est à son sixième mois de contestation, face à l'entêtement d'un pouvoir visiblement réfractaire à toute idée de changement. Ici, les réactions de certains intellectuels dont certaines sont reprises de leur compte facebook. Lahouari addi, professeur de sociologie à Lyon "Ce serait la meilleure manière de diviser le hirak" "Depuis quelques jours, ce mot d'ordre de désobéissance civile circule sur les réseaux sociaux. Ce serait la meilleure manière de diviser le hirak et de le faire échouer. Les tenants de la ligne dure à l'EM n'attendent que l'occasion pour intervenir avec brutalité sous prétexte de rétablir l'autorité de l'Etat. La désobéissance civile pourrait entraîner la paralysie des services de l'Etat. Qui serait la principale victime ? C'est la population. Ce serait donner l'occasion rêvée à la ligne dure du régime de prétendre défendre les citoyens contre les agitateurs. Jusqu'à présent, le hirak a été sans faute et il est en train de réussir. La situation est intenable pour l'EM qui sera bientôt obligé de changer de chef parce que celui-ci cristallise trop de mécontentement. Le hirak doit rester hebdomadaire et le reste de la semaine, il faut travailler normalement, voire plus que d'habitude, pour accroître la productivité sur le lieu de travail. Le hirak pacifique est une main de fer dans un gant de velours. La détermination ne veut pas dire violence. Si l'EM ne satisfait pas les revendications populaires, il n'y aura pas d'élection présidentielle. Le hirak est en train de gagner la partie : Hirak 24 - EM 0. Attention, les supporters de l'EM veulent provoquer un envahissement de terrain pour arrêter le match." Saïd Salhi, vice-président de la LADDH "Le pouvoir est tenu de méditer la situation" "C'est un slogan qui a été largement scandé hier (vendredi, ndlr) à travers plusieurs wilayas. Il apparaît comme une menace face à la répression et au jusqu'au-boutisme du pouvoir qui refuse toute solution et toutes les revendications de la ‘rue' réclamant un changement effectif du système. La désobéissance civile est scandée sans donner vraiment de sens et un contenu ; c'est aussi une menace de radicalisation du mouvement tout en s'attachant au cadre pacifique et unitaire, malgré toutes les provocations du système et ses relais. Au-delà du slogan, le pouvoir est tenu de méditer la situation et les risques que cela peut charrier. Le prolongement de la crise peut mener à l'enlisement et le pouvoir assumera seul toute la responsabilité." Djillali Hadjadj, président de l'association algérienne de lutte contre la corruption "Ne pas tomber dans ce piège qui ferait l'affaire du pouvoir" "Le hirak est sur la bonne voie, restons-y ! La désobéissance civile ne doit pas ‘tomber du ciel !' C'est une alternative qui nécessite un très haut niveau d'organisation dont ne dispose pas le hirak..." Nacer Djabi, sociologue "C'était prévisible" "C'est une affaire sensible. Ça vient après un sentiment de dépit. Le hirak vit un moment crucial, il est à son sixième mois et n'est pas encore parvenu à concrétiser ses revendications. Il y a un sentiment chez lui qui n'est pas pris au sérieux, méprisé et le pouvoir refuse toujours de répondre à ses revendications, notamment après le dernier discours du chef d'état-major. Donc cela apparaît comme un appel à passer à une autre étape. Il traduit une atmosphère au sein du hirak qui veut élever le niveau de la contestation. Faisons attention. Le hirak doit garder son pacifisme qui fait sa force. Mais c'était prévisible car il vit une situation de résistance (…). On espère que les décideurs ne resteront pas dans cette attitude de défi et qu'il y aura du nouveau d'ici à la rentrée pour débloquer la situation. Il faut que les décideurs changent de position et de culture politique."