C'est André Prenant, le géographe — quel beau métier ! — insatiable dans ses recherches et ses quêtes, fidèle ami de notre pays depuis bien longtemps, qui mit entre nos mains le livre d'Olivier Le Cour Grandmaison, au titre significatif, fort et implacable : Coloniser. Exterminer. Sur la guerre et l'Etat colonial, en nous disant : “Lisez-le et faites-le lire.” Nous avons si bien accompli notre mission qu'aujourd'hui, ce gros volume de quelque 400 pages est légèrement abîmé, avec des pages décollées. Il ressemble ainsi à la copie d'un film trop souvent projetée. Mais cette usure-là ne nous gêne pas, elle est le signe que des messages solides et beaux circulent, laissant leur empreinte dans la tête des gens. Avant de dire quelques mots sur ce livre, arrêtons-nous quelques instants sur deux interrogations qui nous interpellent sans cesse : 1- Pourquoi les éditeurs de presse ne reprennent-ils pas la fameuse formule des “bonnes feuilles” en publiant, à raison d'un chapitre par jour, un ou deux roman(s) durant les vacances d'été ? 2- Pourquoi les autorités politico-économiques, qui lancent un projet gigantesque nommé “Un micro par famille”, ne commenceraient-elles pas par une opération beaucoup plus simple, beaucoup plus facilement réalisable : “Un livre par famille” ? Ces interrogations, portant en elles des propositions, pourraient, nous semble-t-il, aider les éditeurs de presse et de livres, les auteurs et surtout les lecteurs. Revenons à notre livre pour l'été. Ce livre nous a passionnés et tenus en haleine durant de longues journées et de longues nuits. Très documenté et rigoureux, il nous a apporté de multiples informations et éclaircissements sur l'histoire coloniale de notre pays. Nos amis critiques écriront certainement de longues pages sur la qualité de cet ouvrage, son importance, ses apports à la connaissance et au savoir. Pour notre part, nous y avons aussi découvert avec amertume une facette méconnue de nombreux auteurs que nous admirions et aimions. Nous avons, en effet, été choqués par les positions racistes et colonialistes qui émaillent certains de leurs écrits. Nous ne citerons pas ici, dans leur intégralité, tous les propos de ces figures illustres mais nous dirons : tant pis pour Hugo s'il a célébré l'intronisation du sinistre Bugeaud, comme gouverneur de l'Algérie, en déclarant que “c'était un grand jour pour la France” ; tant pis pour Tocqueville, le bavard, dont les déclarations racistes terniront l'image. Nous retiendrons seulement, pour mieux éclairer nos lecteurs sur la complexité de la question, les propos de Guy de Maupassant et de Charles Baudelaire, les premiers infamants et honteux, les seconds courageux et intelligents. En 1881, Guy de Maupassant écrit : “Les Arabes passent, toujours errants, sans attaches, sans tendresse pour cette terre que nous possédons, que nous rendons féconde.” En 1845, Charles Baudelaire écrivait à propos du tableau intitulé La Smala du peintre officiel de la colonisation, Horace Vernet : “Je hais cet art improvisé au roulement du tambour, ces toiles badigeonnées au galop, cette peinture fabriquée à coup de pistolet, comme je hais l'armée […] et tout ce qui traîne des armes bruyantes dans un lieu pacifique.” Nos lecteurs apprécieront et s'exclameront comme nous certainement : “Vive le poète ! Vive l'auteur des Fleurs du mal, le visionnaire ! Vive la poésie !” Pour terminer, signalons que ce livre important d'O. Le Cour Grandmaison sera disponible bientôt dans les librairies, la maison d'édition Casbah ayant décidé de le rééditer. Souhaitons que le prix sera abordable et que le chiffre fatidique de 3 000 exemplaires, qui marque les plus grosses ventes, sera largement dépassé. Car, il faut bien l'avouer : 3 000 exemplaires est un chiffre dérisoire et ridicule pour un pays de plus de 30 millions d'habitants ! B. K.