À travers cette réflexion, l'auteur tente d'analyser les raisons qui ont poussé les responsables du ministère de l'éducation nationale à réhabiliter l'examen de 6e au détriment d'autres paramètres d'évaluation. “L'habitude des notes gonflées, de la complaisance et de la corruption” dont seraient coupables les enseignants (dixit les officiels) constituent, à ce jour, le seul argument avancé pour justifier la débâcle de l'examen de 6e. À ce jeu de détective qui consiste à chercher “le meurtrier de l'école”, il nous faut pousser la logique à son terme. Qu'est-ce qui empêcherait le ministère de l'Enseignement supérieur d'accuser les enseignants du secondaire, donc le ministère de l'éducation nationale, d'avoir gonflé les notes du bac ? L'échec massif des bacheliers en 1re année d'université étant devenu chronique. Et aux enseignants du secondaire d'en faire autant avec leurs collègues du moyen. La sagesse nous recommande de cibler les questions pertinentes afin de cerner la problématique dans son ensemble. Il ne s'agit pas de régler des comptes ou d'aller vite en besogne. A-t-on évalué les apprentissages de base au cours de cette période cruciale qui conditionne toute la scolarité, à savoir les trois premières années du primaire ? Et si les résultats de cet examen ne reflétaient que la faillite non pas seulement du travail de l'année, mais plus particulièrement de la période d'initiation (les fameuses trois premières années) ? S'est-on préoccupé des conditions offertes aux élèves depuis leur rentrée à l'école en septembre 1999 à l'âge de 6 ans ? Condition matérielle, psychologique et pédagogique s'entend. Et pourtant, octobre de cette même année (1999) a vu la finalisation par le ministère de l'éducation nationale d'un document intitulé “Indicateurs statistiques sur le rendement interne de l'école fondamentale”. Le tableau de bord clignotait déjà au rouge vif. Les wilayas de l'intérieur sont durement touchées par des déficits énormes : taux de scolarisation, de redoublement, d'encadrement, de déperditions... À la lecture des chiffres et des graphiques repris dans l'étude, l'observateur est frappé par la tendance lourde qui se dessine avec netteté dans le système éducatif algérien : celle de l'apartheid scolaire. La carte sociologique de ce nouveau fléau épouse les contours de celles du sous-développement socio-économique et du déséquilibre régional (urbain/rural et centre -ville/bidonville). Il n'y a pas que Mascara à figurer dans le répertoire de la mortalité scolaire. Loin s'en faut. Les enfants inscrits dans les établissements des quartiers huppés des grandes villes ne connaissent pas le calvaire de leurs camarades de l'Algérie profonde. Les données statistiques — et leur analyse — contenues dans cette étude de 1999 prédisaient déjà la distribution géographique des résultats des trois examens de 2005. À l'évidence, ce rapport-étude n'a pas attiré l'attention des cercles décideurs. La preuve est donnée par le taux de 95% de réussite pronostiqué par le ministre avant l'examen. Le terrain a donné 64% d'échec. Les “héritiers” du pouvoir politique et économique se fabriquent à partir des bancs de l'école. Les dirigeants politiques du monde entier n'ignorent pas ce théorème popularisé par Bourdieu, Baudelot et Establet. Et les examens ne font que révéler les inégalités sociales tout en les amplifiant. Les Algériens découvrent cette théorie après l'avoir seulement lu et vu appliquée dans les pays capitalistes. Imcompréhension La réintroduction de l'examen de 6e a de quoi surprendre. Voilà un héritage de l'école française des temps immémoriaux mis en place entre le XIXe et la mi-XXe siècle — non pas pour des motifs pédagogiques —, mais pour sélectionner et filtrer au bénéfice des enfants issus des familles de la petite et grande bourgeoisie. Dans la France jacobine, la reproduction sociale par le biais du système éducatif reposait sur une multiplication d'examens-obstacles : 6e, certificat d'études, examen d'entrée en 5e, Bepc, Be, 1re partie du bac, 2e partie du bac. Seul ce dernier bastion du conservatisme élitiste est demeuré malgré les luttes menées en faveur du contrôle continu. Passons sur le retard et la précipitation qui ont accompagné la réintroduction de la 6e en Algérie : deux circulaires à deux mois d'intervalle pour préciser, corriger et lever les appréhensions et les incompréhensions. La première circulaire arrive dans les écoles primaires en janvier 2005 à la rentrée des vacances d'hiver. Soit après quatre mois de scolarité. Elle n'était pas assez claire, il fallait une deuxième vers le mois de mars. Bizarre ! Le justificatif officiel de la motivation des élèves au travail scolaire ne tient pas la route. La seule conséquence, de pure illusion, est le bachotage. Cette pratique antipédagogique ne sert que les intérêts des “braconniers de la pédagogie”. Ils verront pointer dans les caves et les garages servant de salles une nouvelle clientèle qui déboursera l'argent sans compter. Pas les enfants de pauvres. Les progrès de la pédagogie universelle ont mis à jour des stimulants autrement plus efficaces que les examens. Il suffisait d'ouvrir les portes de cette pédagogie de la réussite aux enseignants algériens. Est-il admissible que la formation continue — ce droit inaliénable de tout enseignant du primaire au lycée — soit absente dans leur parcours professionnel depuis plus de vingt ans ? Au fait quelles sont les raisons exactes de cette réintroduction de l'examen de 6e ? Après avoir parlé, pendant des mois, d'examen de passage au collège, les autorité changent d'optique… une fois les résultats connus. Depuis juillet, elles utilisent le concept d'évaluation diagnostique à des fins de remédiation aux lieu et place de l'évaluation sommative à des fins d'examen. Il y a comme des relents de cafouillage : les concepts seraient-ils confondus ? Serait-ce pour coller à l'air du temps de ce qui se fait en France depuis deux décennies et qui consiste à vérifier la santé scolaire des élèves à chaque début de cycle (CE 2e année ; 6e et seconde de lycée) ? Une grande opération en septembre, immédiatement suivie d'une remise à niveau des élèves jugés en retard sur les exigences du cycle concerné. Si c'est le cas, il fallait éviter la somme de désagréments causés inutilement aux pauvres élèves et ne pas parler d'examens de passage. L'évaluation diagnostique a besoin d'une organisation appropriée : banque de tests, détection des élèves en difficulté, analyse des carences répertoriées, perfectionnement des enseignants pour les familiariser avec ce dispositif de remédiation-remise à niveau, etc. Rien de cela n'a été prévu en Algérie à part le rachat des recalés en septembre. Or, le rachat n'est pas de la remédiation : il est le complément artificiel de tout examen de sélection. À la limite, il est utilisé dans les pays dictatoriaux pour doper les taux de réussite et acheter la paix sociale. Les 155 milliards de dinars (le financement des trois examens de 2005) dépensés pour démontrer la faiblesse de notre école auraient servi à de meilleurs objectifs : équiper les écoles, assurer aux enseignants une bonne formation continue, leur construire des logements… Finalement, le flou persiste. Personne ne sait si ces épreuves de 6e relèvent d'une évaluation diagnostique ou d'un examen de passage. Les deux concepts sont à l'opposé l'un de l'autre. Et si cette réintroduction était conçue à partir d'une mauvaise interprétation d'un concept importé ? Pour une fois que l'exemple (l'évaluation diagnostique à des fins de remise à niveau) en provenance de la France scolaire était bon à prendre. Dommage pour nos enfants ! A. T.